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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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ramenant son châle sur sa poitrine.
     
    – Avant de quitter votre maison, je veux vous dire combien je m’y suis senti à l’aise. Un lieu béni où le vagabond que je suis eût aimé mettre sac à terre, comme disent les marins. Je veux aussi vous faire un présent, dit Fontsalte en tirant de sa botte un court poignard à manche de nacre.
     
    À la vue du couteau, M me  Métaz eut un mouvement de recul.
     
    – C’est plus un bijou qu’une arme. Il m’a été offert en Égypte par une belle hétaïre de Jaffa, en échange de quelques grammes d’opium qui ont abrégé ses souffrances. Elle se mourait de la peste. Ce souvenir est une sorte de talisman.
     
    Charlotte Métaz prit le poignard, considéra un instant le jeu de la clarté lunaire sur les pierres dont le manche était orné.
     
    – Bien que ce ne soit pas le genre de présent qu’une femme puisse recevoir, je l’accepte venant de vous, d’un ami, dit M me  Métaz à voix basse.
     
    – Vous pourrez l’utiliser comme coupe-papier pour ouvrir les lettres de vos galants, ce que devait faire sa défunte propriétaire !
     
    – Je ne reçois jamais de lettres de galant et…
     
    – Voulez-vous que je vous écrive, moi qui ne suis pas poète comme M. Chantenoz…, si vous m’y autorisez ?
     
    La jeune femme eut un petit rire où entrait autant d’incrédulité que de plaisir.
     
    – Si les belles Italiennes et la course à la gloire vous en laissent le temps, je serais heureuse d’avoir des nouvelles de tous ces soldats si jeunes et si forts que j’ai vus cet après-midi place du Marché… et des vôtres aussi…, bien sûr !
     
    Blaise de Fontsalte s’inclina pour baiser les doigts de l’hôtesse. La surprise, la gaucherie et la façon dont Charlotte raidit la main prouvèrent au capitaine que M me  Métaz n’était pas accoutumée à ce genre d’hommage.
     
    Elle s’éloigna promptement, après un dernier sourire, et, à travers les massifs, Blaise atteignit sans encombre l’escalier qui conduisait à sa chambre. Il trouva près du lit une bassinoire de cuivre, dont les braises encore chaudes le firent sourire. Ces bourgeois veveysans, reconnut-il, avaient le sens du confort et de l’hospitalité. Mais, au cours de la soirée, il leur avait découvert d’autres qualités, auxquelles il était sensible. Aristocrate, fils adoptif de la Révolution, il avait pris grand plaisir à la liberté de parole de ces gens. L’aisance avec laquelle s’expri maient sans retenue, en bon français, hommes et femmes l’avait touché. Les rythmes paisibles de la vie vaudoise, que troublaient depuis deux ou trois ans les échos des guerres et des révolutions, semblaient cependant inaltérables. La lenteur d’élocution et de réflexion des Veveysans découlait peut-être de celle qu’imposaient le relief et le lac à leurs déplacements. On ne pouvait grimper dans les vignobles pentus au pas de charge ni filer dix nœuds sur le Léman en absence de vent ! Le climat lacustre lénifiant, « la molle du lac », comme disent les gens du pays, le décor virgilien, chef-d’œuvre naturel de proportion et de mesure, inscrit dans le rempart protecteur des hautes montagnes, ne devaient pas être sans influence sur un peuple rustique, sain, placide, plein de bon sens, parfois indécis dans ses engagements mais docile et loyal. Malicieux sans méchanceté et d’esprit plus curieux que délié, les Vaudois, durs au travail, âpres au gain et économes, manifestaient une susceptibilité inquiète devant l’étranger, surtout si celui-ci portait, comme les Français, un uniforme et un fusil !
     

    Quand Blaise fut confortablement allongé dans l’obscurité, le souvenir de la jolie Charlotte Métaz l’empêcha, malgré la fatigue, de trouver le sommeil. L’image de la jeune femme s’imposait avec insistance et netteté. Il se remémora la façon qu’elle avait eue de l’observer et de l’écouter pendant toute la soirée, adossée aux coussins, près de Flora Baldini. Charlotte souriait aux anges et semblait prendre le même plaisir qu’au théâtre. À l’abri de la pénombre, peut-être n’imaginait-elle pas qu’on pût remarquer son expression et son regard, dont la conjonction révélait l’intense curiosité, presque l’avidité, de l’enfant envieux ou subjugué. Et le tête-à-tête dans le jardin avait encore ajouté au sentiment qu’il eût pu, avec un peu de temps, obtenir de cette femme… ce que

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