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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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détermination. Car, contrairement peut-être à ce que pense M me  Baldini…
     
    – Mademoiselle ! dit sèchement Flora.
     
    – Contrairement à ce que semble penser M lle  Baldini, nous avions tous au cœur une bonne dose de romantisme.
     
    – Et, en Égypte, que devint-elle ? demanda Charlotte, impatiente.
     
    – Elle suivit l’armée sur un dromadaire, réconfortant les blessés, se dévouant, résistant mieux que nous aux fatigues, à la soif. Elle fut de toutes les batailles, à Rhamanié, à Chébreisse, aux Pyramides. Un soir, le général Bonaparte l’aperçut, couchée sur le sable près de son mari. Il dit : « Voilà une petite femme qui dort bien ! » et félicita Perrot d’avoir trouvé en Suisse une aussi courageuse épouse. Il faut bien reconnaître qu’elle supportait mieux que son mari les rigueurs du climat et les privations. La mauvaise santé de Perrot étant connue du général Bonaparte, le commandant fut dispensé de la campagne de Syrie et nommé gouverneur du Vieux-Caire. C’est là que Suzanne mit au monde une fille, qui ne vécut que quelques jours. À peine avions-nous rembarqué pour la France avec le général en chef, Marmont et Murat, que Perrot tomba gravement malade. J’ai appris, depuis, qu’il mourut à Alexandrie, malgré les soins prodigués par son épouse et les médecins de l’hôpital militaire 3 .
     
    – Et savez-vous, capitaine, ce qu’est devenue la veuve ? demanda Charlotte.
     
    – Non, personne n’a su encore me le dire. Il semble qu’elle soit restée en Égypte. Peut-être près de la tombe de l’époux qui l’avait emmenée si loin du Léman. En tout cas, peu d’hommes peuvent se vanter d’avoir reçu autant de preuves d’amour que ce camarade mort à trente-six ans, après dix-neuf ans passés sous les armes.
     
    – Peut-être reviendra-t-elle un jour à Vevey pour nous raconter elle-même la fin de son histoire, car… Suzanne… je l’aimais bien… autrefois, conclut Blanchod, mélancolique et rêveur.
     
    Martin Chantenoz, qui avait bourré et allumé sa pipe, fit observer que cette romance exotique et édifiante était de nature à émouvoir les bergères du pays d’En-Haut, une aventure « dans le ton du siècle ».
     
    – Que voulez-vous dire par « le ton du siècle » ? interrogea Fontsalte, intéressé.
     
    – Je veux dire que nous sommes entre deux moments de civilisation, que de ce fait les mœurs changent et que les gens ont besoin de nouvelles références. D’un côté subsiste l’ancienne société, attachée à des principes issus de la féodalité, et qui trouve réponse à ses questions, parfois consolation à ses déboires, dans la foi religieuse, et de l’autre se forge une société nouvelle, née de la Révolution, qui découvre et admet l’audace des sciences, sources de réponses inédites. Quoi qu’en pensent les catholiques, comme Flora ou Charlotte, qui ne voient pas plus loin que leur bénitier, la nouvelle société, plus que l’ancienne, est attentive à l’homme, en tout cas plus attentive à l’homme qu’à Dieu, plus instinctive que mystique, plus avide de connaissances que de morale. La révolution française nous a révélé que l’homme peut influer sur son destin et que ce dernier n’est pas uniquement déterminé par des forces mystérieuses que commande, assis dans les nuées, un juge suprême, maître du monde visible et invisible, dont on ignore s’il est chair translucide ou imagination !
     
    – Tais-toi, tu blasphèmes ! s’écria Charlotte.
     
    – Bon, je blasphème. J’assume toute la responsabilité de mes blasphèmes, tu le sais ! Mais je suis bien certain que le capitaine Fontsalte sera de mon avis si je dis : en face de l’idéologie chrétienne, à base de prières, d’exhortations à la vertu, d’interdits, de menaces infernales et de résignations aux lois temporelles, la Révolution a opposé une idéologie neuve, pleine de générosité sociale, véhémente, naïve, souvent brutale, parfois sanguinaire, mais puissante parce que humaine et universelle. Au souverain de droit divin elle oppose les élus des citoyens. On parlait de soumission aux monarques et de contrainte, on parle maintenant de liberté et de bonheur. N’est-ce pas mieux ainsi ?
     
    – C’est une façon bien utopique de voir les choses et il faut attendre un peu avant de juger, commenta Blanchod.
     
    Blaise de Fontsalte se sentait assez proche de la

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