Helvétie

bénite, la Veveysanne, née huguenote, en avait profité pour abjurer la religion protestante et se faire catholique. À son retour à Vevey, ayant constaté que ses affaires ne s’étaient pas améliorées pendant son absence, elle avait mis la clé sous la porte et traversé le lac, le 14 juillet 1726, pour passer en Savoie ! Quand, le 7 août suivant, le baron de Warens avait appris que son épouse venait de quitter Évian pour suivre le roi du Piémont à Turin, il avait mesuré toute l’étendue de son infortune sentimentale et financière. Comme une soubrette indélicate, madame, née de La Tour du Pil, était partie avec l’argenterie du ménage !
     
    L’anecdote avait mis tous les invités du colonel Ribeyre en joie et, comme la plupart vivaient un célibat opiniâtre et joyeux, on avait trouvé dans la mésaventure du mari de l’inspiratrice de Jean-Jacques une raison supplémentaire d’éviter le mariage.
     
    Blaise laissa bientôt choir sur le parquet le livre de Rousseau et oublia la bonne M me  de Warens. Celle-ci, depuis près de quarante ans, reposait dans sa tombe, à l’abri des amours et des misères de ce monde. Il souffla la chandelle et, sa mémoire ayant fait toilette, s’endormit.
     
    1 Mélodie composée en 1760 par Jean-Paul Martini, maître de chapelle du prince de Condé. Elle fut inspirée au musicien par Célestine , une nouvelle de Florian.
     
    2 Débits de boissons, buvettes.
     
    3 L’histoire authentique de Suzanne Roy et de Charles Perrot a été racontée en détail par son petit-fils, le pasteur Alfred Ceresole, issu du second mariage de la veuve de l’officier mort en Égypte dans : Un épisode vaudois de 1798 : Suzanne Ceresole , imprimerie Georges Bridel et C ie , Lausanne, 1900.
     
    4 Publiciste genevois (1694-1748). Forcé par le mauvais état de sa vue d’abandonner l’enseignement, il fut nommé membre du Conseil d’État en 1740. Ses ouvrages formaient, au xviii e  siècle, le fond de l’enseignement du droit dans de nombreuses écoles.
     
    5 Vevey conserve à sa façon le souvenir de ces six cents soldats suisses. Le restaurant Au 10-Août, place de la Gare, qui proposait une carte typiquement vaudoise, abritait une belle reproduction du Lion de Lucerne, monument offert par une souscription nationale à la mémoire des martyrs et inauguré, le 10 août 1821, par une centaine de survivants du massacre des Tuileries entourés par les familles des disparus. Cette enseigne, mythique pour tous les Veveysans et amoureux de Vevey, a cessé ses activités le 30 novembre 2005. Mais le nouvel établissement, la chaîne internationale Starbucks Coffee, avait encore conservé, en mars 2010, la réplique du petit monument. Jean Pache, l’ancien tenancier, caricaturiste talentueux, est décédé en avril 2010, à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
     

5.
     
    Le capitaine Fontsalte estima qu’il venait de s’assoupir quand des coups violents ébranlèrent la porte de sa chambre. À son « Qui va là ? » répondit la voix du maréchal des logis Trévotte.
     
    – C’est Titus, citoyen capitaine. Faut que je vous parle tout de suite !
     
    Le temps d’allumer une chandelle, de jeter un regard à sa montre qui lui apprit qu’il dormait en réalité depuis trois bonnes heures et Blaise, assis dans son lit, reçut en plein visage la lumière de la forte lanterne d’écurie que tenait Trévotte.
     
    – Tu m’aveugles, sacrebleu, pose ce fanal ! Que se passe-t-il ? Tu n’es pas couché à deux heures de la nuit !
     
    Le maréchal des logis, gilet déboutonné, habit ouvert, bonnet de guingois, paraissait si excité que Fontsalte le crut ivre.
     
    – Faites excuse, citoyen capitaine, je viens de ramasser des espions, dit Trévotte en posant sa lanterne sur la commode.
     
    – Des espions !
     
    – Oui, une femme et un homme. Tenez, regardez ça, ajouta Titus en tendant à Blaise plusieurs feuilles de papier pliées.
     
    – Approche ta lanterne et rectifie la tenue, ordonna Fontsalte en dépliant les feuillets.
     
    Dès les premières lignes, l’officier comprit qu’il s’agissait d’un relevé des effectifs et de l’ordre de marche de l’armée de réserve.
     
    « Près de cinquante mille hommes se préparent à passer en Italie par les cols du Grand-Saint-Bernard, du Saint-Gothard et du mont Cenis. L’avant-garde, déjà en route, est commandée par le général Lannes. Les troupes sont cantonnées à Villeneuve,