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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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d’autres lui avaient donné ! Blaise se garda cependant d’interpréter comme désir amoureux ces manifestations d’intérêt flatteuses et qu’une duègne eût trouvées excessives. Il définit plus prosaïquement l’attitude de son hôtesse comme la fascination naïve que pouvait exercer sur une jeune femme encore ignorante de la vie et des violences de la guerre un baladin de passage. Il ne se trompait que d’un ton : Charlotte Métaz avait vu Fontsalte comme un Lancelot, prêt à courtiser, avec la même désinvolture, la gloire ou la mort, jumelles tragiques, et la dame qu’un hasard place sur le chemin des batailles.
     
    Ayant renoncé au sommeil, il ouvrit la Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, ouvrage qu’il avait mis dans ses sacoches avec d’autres livres relatifs aux pays qu’il devait traverser. Il retrouva aisément le passage où Saint-Preux analyse, pour lui-même, l’ambiance lénifiante et romantique dont il ressent les effets sur les bords du Léman. « On y est grave sans mélancolie, paisible sans indolence, content d’être et de penser ; tous les désirs trop vifs s’émoussent, perdent cette pointe aiguë qui les rend douloureux, ils ne laissent au fond du cœur qu’une émotion légère et douce et c’est ainsi qu’un heureux climat fait servir à la félicité de l’homme les passions qui sont ailleurs son tourment. »
     
    La lecture de ce fragment fit sourire l’officier. Saint-Preux souffrait d’une passion dévorante pour Julie et ne souhaitait que changer d’humeur, alors que lui, Fontsalte, était prêt à rire de sa propension à guetter chez les femmes un signe d’acquiescement devant l’invitation au plaisir et la promesse d’abandon qui s’ensuivait.
     
    L’image de Charlotte Métaz dériva puis s’éloigna, mais le jeu inconscient des enchaînements de la mémoire ranima chez l’homme somnolent un fantôme rousseauiste.
     

    À quelques douzaines de pas du lit de Blaise, près de la place du Marché où la division Boudet avait paradé l’après-midi, se trouvait la maison de M me  de Warens et aussi l’auberge de la Clef, où Rousseau avait logé « sans voir personne » en 1730, après s’être pris pour Vevey d’un amour qui depuis l’avait partout suivi. Pendant la revue, le colonel Ribeyre avait montré au capitaine la demeure de la « petite maman » incestueuse. De cette Veveysanne, que Rousseau avait si mal aimée, un membre de la municipalité, invité du colonel Ribeyre, avait fait, le soir au cours du dîner, un portrait bien différent de celui que la postérité voulait retenir.
     
    Louise Éléonore, née à Vevey en 1700, il y avait tout juste un siècle, s’était découvert, à l’âge de vingt-cinq ans, du goût pour la bonneterie industrielle, activité jusque-là réservée aux hommes. Ambitieuse, entreprenante, généreuse aussi et toujours attirée par les jeunes gens en perdition, elle s’était prise d’une affection particulière pour Jean Laffon, un réfugié huguenot qui venait de fonder à Vevey une fabrique de bas de soie. Comme celui-ci ne possédait pas de quoi développer l’entreprise, M me  de Warens, sans consulter son mari et parce qu’elle croyait aux profits de la spéculation, avait investi pour prendre le contrôle de la manufacture et faire de Laffon un directeur appointé. Enfin informé, M. de Warens, membre du Conseil des Douze qui gérait la ville, n’avait pu refuser à sa femme un prêt communal de cinq cents écus, puis un deuxième de sept cents écus. Il s’agissait d’ajouter à la fabrique de bas de soie une fabrique de bas de laine ! On avait dû faire venir de France des ouvriers compétents, les Veveysans ignorant tout de la fabrication des bas. L’affaire, comme il fallait s’y attendre, allait péricliter d’autant plus vite que M me  de Warens, considérant que la caisse de l’entreprise était sienne, y puisait allégrement pour les bonnes œuvres destinées à parfaire sa réputation mondaine. Laffon en faisait autant, mais sans doute pour des œuvres moins pies !
     
    En février 1726, M. de Warens avait dû négocier un troisième emprunt de huit cents écus. Les bas fabriqués à Vevey ne connaissant pas, en Europe ni même dans le pays de Vaud, la vogue escomptée, et le bilan devenant désastreux, Louise Éléonore avait alors choisi d’aller prendre les eaux à Aix-les-Bains. Bien que les griffons d’Aix n’aient jamais dispensé d’eau

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