Helvétie
C’était aussi un homme fort instruit en droit, philosophie et théologie. Son accueil et sa conversation séduisirent d’emblée le Premier consul, dont l’humeur semblait meilleure depuis qu’il avait appris, à Lausanne, le débarquement, le 5 mai à Toulon, de son ami Desaix retour d’Égypte.
Retenu, comme le général Davout, pendant un mois à Livourne par les Anglais, Desaix avait annoncé par lettre son intention de rejoindre l’armée en remontant les vallées du Rhône et de l’Isère « afin de ne pas perdre un instant pour entrer en campagne ». Bonaparte lui avait fait répondre : « Venez le plus vite que vous le pourrez me rejoindre où je serai. »
Le Premier consul prit connaissance des dernières dépêches, réunit son état-major et, déjà informé de l’arrestation d’un espion, demanda qu’on le lui amenât. L’homme, qui s’attendait à la pire réception, fut bien aise de trouver le général prêt à écouter ses raisons. Après avoir renouvelé ses aveux, il crut apitoyer les Français en gémissant. Il avait sept enfants à nourrir et, pour ce faire, avait accepté les propositions des Autrichiens. Il était venu d’Aoste en soixante heures, en passant par Valpellina, pour monter au col de Fenêtre, à plus de deux mille mètres, avant de descendre, sur le versant valaisan, par la Ruinette, le lac de Mauvoisin et le bec de Sarrayer. C’est à Vollèges, à quatre lieues de Martigny, qu’il aurait dû rencontrer, la veille, un messager venu de Villeneuve, chargé de lui remettre un pli apporté de Vevey par bateau. Mais le messager ne s’était pas présenté.
– Il a été fusillé hier, comme tu vas l’être tout à l’heure, inventa le colonel Ribeyre.
Le Premier consul, appréciant l’exploit sportif du gaillard qui venait de franchir les Alpes seul, déguisé en prêtre, lui promit la vie sauve s’il livrait des informations sur les positions de l’armée ennemie à partir d’Aoste ou le peloton d’exécution, dans l’heure, s’il se taisait. L’homme savait à quoi s’en tenir sur le peu d’humanité des employeurs d’espions. Il livra aussitôt tous les détails qu’il pouvait connaître sur le dispositif autrichien, révéla que quatre cents grenadiers du régiment Kinski, disposant de vingt-six canons, tenaient le fort de Bard, commandé par le colonel Bernkopf. Il donna à entendre que ce vieux fortin constituerait certainement un obstacle à la progression des troupes françaises « en train d’escalader le Grand-Saint-Bernard », ajouta-t-il, d’un air détaché pour montrer qu’il était bien informé. Bonaparte lui fit offrir un salaire mensuel de mille francs pour renseigner l’état-major comme il l’avait fait, trois ans plus tôt, à Mantoue et à Rivoli, et l’invita à se débarrasser d’une soutane sacrilège, devenue compromettante.
Satisfait de l’arrangement, l’espion objecta que, pour bien servir le général français, il devrait repasser en Italie sous le même déguisement et, pour ne pas paraître suspect, rapporter quelques informations au général Melas. Le service des Affaires secrètes fut aussitôt chargé de préparer des données confidentielles, fausses mais vraisemblables, quant à la marche de l’armée de réserve et à l’importance de ses effectifs. Ces derniers furent généreusement gonflés, de manière à susciter, chez les Autrichiens, la crainte d’un prochain affrontement. Comme un aide de camp s’étonnait que le Premier consul accordât autant de confiance à un agent vénal et versatile, Blaise de Fontsalte le rassura. Les informations livrées par l’Italien étaient exactes et ne faisaient que confirmer ce que l’on savait déjà. Avant même que l’espion eût quitté Martigny, le service des Affaires secrètes avait fait partir un courrier pour prévenir Ange Pico, avocat piémontais, qu’il aurait à surveiller l’homme et à s’assurer de sa loyauté. Le réseau Pico fonctionnait au mieux, en Italie, pour la France, depuis la bataille de Mondovi, en 1796.
Dès que les agents recrutés dans le pays de Vaud et le Valais furent arrêtés, tant à Villeneuve qu’à Vollèges, le colonel Ribeyre, considérant que le réseau de la rive nord du Léman était démantelé, autorisa Blaise à faire libérer, comme celui-ci s’y était engagé auprès de M me Métaz, la jeune Flora Baldini.
– Tant que nous serons là, vous et moi, on ne
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