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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Rousseau et d’Héloïse. À Vevey, il a voulu visiter la maison de M me  Warrens [sic] . Je crois donc utile pour sa sécurité de l’accompagner jusqu’au Grand-Saint-Bernard qu’il doit passer avec les bagages de l’armée. » Et l’homme, profitant de l’occasion, ajouta : « Peut-être pourrais-je, moi-même, trouver à m’employer dans la cavalerie française. J’ai trente-quatre ans, un bon cheval, mes armes, j’ai été capitaine dans la cavalerie helvétique et suis, pour l’heure, libre comme l’air. »
     
    – Avez-vous pris son nom ? demanda Blaise.
     
    – Il s’est présenté comme capitaine Burelvillers, de Genève.
     
    Blaise se garda bien d’expliquer comment le gaillard avait déjà offert ses services à deux régiments de cavalerie, lors de leur étape de Lausanne. Renseignements pris, aucun chef de corps n’avait voulu de ce caracoleur au caractère difficile, capable de se battre avec vaillance, mais aussi de filouter. Un colonel suisse avait révélé la destitution de Burelvillers, puis sa réintégration dans l’armée helvétique, dont il venait, tout récemment, de démissionner pour d’obscures raisons.
     

    Le Premier consul, qui allait en berline, sans accorder autant d’attention au paysage que les jeunes officiers de cavalerie, arriva vers midi, le 17 mai, à Martigny, où son logement était préparé à la maison prévôtale des chanoines réguliers de Saint-Augustin. Cette congrégation avait reçu mission par Bernard de Menthon, au milieu du xi e  siècle, de prêter assistance aux voyageurs en péril dans la montagne et de les accueillir dans les hospices édifiés par ses soins, dont celui du Grand-Saint-Bernard.
     
    C’est à Martigny, au pied de la falaise de l’Ermitage, dans une vaste demeure aux murs épais, que les chanoines venaient se reposer après les mauvais jours passés dans la solitude du plus haut couvent d’Europe, situé, d’après les savants, à mille deux cent cinquante-sept toises au-dessus du niveau de la mer 6 . À demi enfoui, pendant des mois, dans dix-huit ou vingt mètres de neige, assiégé par les avalanches, fouetté nuit et jour par des vents furieux qui interdisent toute sortie pendant des semaines et font descendre le thermomètre à moins trente degrés centigrades, l’hospice du Grand-Saint-Bernard devenait, en hiver, une arche perdue, vaisseau de pierre à la cape, cerné de gigantesques vagues de rocs figées depuis des millénaires au cœur d’un océan de blancheur. L’hivernage mettait à rude épreuve la constitution des religieux qui avaient fait vœu de servir Dieu en célébrant la messe, en récitant l’office divin, de jour comme de nuit, mais aussi d’assurer, dans les solitudes alpestres, aide et protection au prochain. Certains chanoines, victimes d’hémorragies, de palpitations, de congestion des poumons ou de névrose dues à l’altitude, devaient regagner la vallée et servir dans d’autres maisons de l’ordre. Cependant, chaque profès ne souhaitait, comme le soldat volontaire pour un poste avancé, qu’être affecté là où les conditions de vie étaient les plus dures, à l’hospice du Grand-Saint-Bernard.
     
    À l’endroit où le Rhône, bifurquant à angle droit vers le Léman, à la sortie de la vallée de Sion, avale les eaux tumultueuses de la Drance, Martigny, à l’ombre de la vieille tour de la Bâtiaz, vestige d’une forteresse du xii e  siècle, apparaissait donc comme un havre douillet aux religieux fatigués. C’était aussi la dernière étape confortable pour ceux qui se préparaient à passer les Alpes.
     
    Le général Bonaparte fut accueilli par le chanoine Louis-Antoine Luder, un saint homme aux longs cheveux blancs, âgé de cinquante-sept ans, prévôt de la communauté depuis vingt-quatre ans. Le prêtre avait reçu la bénédiction abbatiale de l’évêque de Sion le dimanche de Quasimodo 1776, ce qui l’avait autorisé à coiffer la mitre et troquer le bourdon pour la crosse. Pour l’heure, il ne se distinguait pas des autres religieux de l’ordre et, comme eux, portait soutane noire et rabat des prêtres séculiers avec, en façon de baudrier, pendant de l’épaule droite à la hanche gauche, une bande de toile blanche, large de trois doigts, modeste interprétation du rochet de dentelle des prélats d’autrefois. Cet ancien élève des barnabites d’Aoste était un enfant du pays et connaissait la montagne tels les marronniers 7 .

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