Helvétie
dernière fois que je l’ai vu, il ne pensait pas à forniquer, je vous assure, et le chirurgien n’était même pas certain de sa survie. Ainsi, voyez-vous, ceux que vous aidiez contre nous vous ont vengée avec usure. Car une jambe fera plus défaut à un garçon de son âge qu’un pucelage, si pucelage il y eut, à une fille comme vous !
– Je vous déteste ! s’écria Flora en se dressant.
Blaise demeura indifférent et, laissant la jeune fille sur la terrasse, rassembla ses affaires et se dirigea vers Yorick qui piaffait au soleil. L’officier donna un coup de pouce dans le ventre de l’animal, avant de serrer la sous-ventrière, vérifia les courroies de son portemanteau et se mit à cheval. Il régla ses étriers puis, croisant les mains au pommeau de la selle, se pencha vers Flora qui, à trois mètres de là, lui tournait ostensiblement le dos.
– Voyez-vous, mademoiselle, nous autres soldats, nous avons l’habitude d’être détestés. Même quand on nous sourit, on nous déteste. C’est dans l’ordre des choses de la guerre. Mais, moi qui ne vous déteste pas, j’ai le regret de ne pas vous avoir fait passer par les armes au soir du 13 mai dernier, comme c’eût été mon devoir de le commander.
La voix était sèche et le regard minéral de l’officier, si difficile à soutenir du fait de son étrangeté, confirmait la sincérité effrayante du propos.
Du talon, il fit pivoter sa monture et prit, sans plus attendre, le chemin qui, à travers les vignes, descendait, en serpentant entre les murettes, vers la route de la berge.
Brusquement, Flora enfourcha sa mule et rattrapa le cavalier.
– Je ne voudrais pas que Charlotte sût jamais ce qui m’est arrivé cette nuit-là… Elle, au moins, elle a choisi son moment… et pris le temps de la réflexion ! lança-t-elle.
– En effet, c’est elle qui a choisi le moment et l’heure. C’est le propre des femmes de qualité…, les autres prennent les choses comme elles se présentent !
– Je vous déteste…
– Bis repetita placent , riposta Blaise sans se retourner.
Un quart d’heure plus tard, le jeune commandant Fontsalte traversait le petit village de Saint-Saphorin, écrasé de soleil. Il remarqua, au passage, le pressoir public sous son abri et prit, au bord du lac, le chemin de Lausanne.
Il avait le cœur serein et l’esprit libre. Dans trois jours au plus, il serait à Fontsalte, dans la plaine du Forez, se baignerait au griffon de la source salée, tremperait des pommes de terre tièdes dans du sarasson frais, lissé par une cuillerée d’huile d’olive et relevé de fines herbes, grillerait une belle pièce de bœuf dans la cheminée. Il arroserait le repas d’un saint-joseph tiré au tonneau et, le soir, tout en racontant ses campagnes de Suisse et d’Italie, ferait la partie de trictrac de sa mère. Il vanterait le charme aigre-doux des Milanaises mais se dispenserait d’évoquer Charlotte, la Veveysanne.
Le marquis de Fontsalte avait enseigné à son fils qu’en ces délicates matières, qui régissent les rapports des hommes avec les femmes, même en temps de guerre, la discrétion est, non seulement une exigence de savoir-vivre, mais une garantie d’indépendance et de tranquillité !
1 La comptabilité des chanoines, régulièrement tenue, fut contresignée par Dalbon, commissaire des guerres. Les dépenses furent évaluées à 40 000 francs. L’hospice ne reçut que 18 000 francs… en 1805 (archives de l’hospice du Grand-Saint-Bernard). Ces sommes sont énoncées en francs-or au titre de 322,58 mg.
2 Communiqué à l’auteur par M. Fernand Dorsaz, alors président de la commune de Bourg-Saint-Pierre. Sur la note de 45 433 francs présentée au Consulat en 1800, la commune ne reçut… en 1821 que 13 268 francs. Depuis le versement de cet acompte, le conseil municipal n’a cessé de réclamer aux régimes et aux gouvernements qui se sont succédé en France le reliquat de sa facture de 1800. Aucun ne voulut endosser cette dette. En 1984, François Mitterrand, lors d’un voyage officiel en Suisse, délégua à Bourg-Saint-Pierre un membre de son cabinet, qui remit à la commune une reproduction très agrandie de la médaille de bronze frappée autrefois par l’administration des Monnaies et Médailles pour commémorer le passage des Alpes par Bonaparte. Cette reproduction a été placée dans le hall de la mairie
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