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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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bon peuple avait ressenti la frustration d’un passage si rapide et, pour tout dire, assez désinvolte. Le reporter du Journal de la Côte-d’Or n’avait pas manqué de le souligner en écrivant : « De tout cela, il ne reste aux Auxonnais comme aux Dijonnais, de leurs arcs de triomphe, de leurs illuminations, de leurs inscriptions et de leur feu d’artifice, que le seul plaisir d’en parler. » La déconvenue des Bourguignons eût été encore plus grande s’ils avaient eu connaissance d’une lettre envoyée deux jours plus tôt par Bonaparte à son frère Lucien, à qui le Premier consul écrivait : « Mon intention est de n’avoir ni arcs de triomphe, ni aucune espèce de cérémonie. J’ai trop haute opinion de moi pour estimer beaucoup de pareils colifichets. Je ne connais pas d’autre triomphe que la satisfaction publique 3 . » Bonaparte avait eu quelques « colifichets » et « la satisfaction publique » s’était manifestée, tant en province qu’à Paris où, le lendemain de son retour, il avait dû se montrer au balcon des Tuileries pour répondre au vœu d’une foule enthousiaste.
     
    Blaise de Fontsalte n’était pas de ceux qui, dans le sillage du général vainqueur, cherchaient à glaner des applaudissements, ni de la race des militaires courtisans pressés de raconter dans les antichambres et les salons des faits d’armes, vrais ou imaginaires, en escomptant avancement ou prébendes. L’officier de la Garde des consuls s’était attardé chez lui, à Fontsalte, où sa mère avait entrepris, sur les conseils d’un médecin local, la remise en état du griffon de la source familiale. Un éminent praticien lyonnais, Richard de Laprade, ayant analysé les eaux de plusieurs sources de la région, avait signalé à son confrère baldomérien que celle de Fontsalte offrait des propriétés identiques à celle de Font-Fort, source connue, qui jaillissait au pied du promontoire de Saint-Galmier. Le médecin lyonnais ne faisait que rappeler ce que les Romains savaient déjà, puisqu’on avait mis au jour, près du griffon, des vestiges de thermes. Les Fontsalte connaissaient aussi le récit d’un voyageur nommé Gilles Corrozet, qui avait constaté, en 1539, lors d’une étape en Forez, que l’eau de leur source était « grandement froide et clère, comme cristal, picante sur la langue quand on la boit 4  ». Limpide et d’un goût agréable, bien que légèrement salée, cette eau se perdait en bouillonnant dans la rivière Coise. Or, d’après les médecins, elle méritait d’être captée et proposée aux gens qui souffraient de la gravelle et des maladies glaireuses. Elle pouvait aussi aider à la purification du sang et, peut-être, faciliter la guérison des maladies vénériennes.
     
    Une seule propriété supposée de la source faisait hésiter M me  de Fontsalte : Laprade soupçonnait cette eau d’effets aphrodisiaques « propres à augmenter le feu des passions ». « C’est la première vertu à vanter, si vous voulez tirer quelques profits de notre source », avait suggéré, sans succès, Blaise à sa mère.
     
    Sur l’injonction de cette dernière, il s’était rendu chez les derniers métayers des Fontsalte qui, dans leur ferme des monts du Forez, élevaient Adrienne, la fille de la gitane. L’enfant aurait bientôt quatre ans et montrait, d’après la fermière, une rare intelligence, beaucoup de grâce et une gaieté de tous les instants.
     
    Son regard vairon, mais vif et rieur, avait impressionné Blaise. Les yeux de l’enfant rappelaient ceux du défunt marquis lorsqu’il se réjouissait à l’annonce d’une rentrée d’argent ou en découpant un beau rôti, deux choses rares chez les Fontsalte. Adrienne, potelée à souhait et déjà minaudante, avait joué avec les boutons dorés du dolman de son père et avait fini par en arracher un que Blaise s’était résigné à lui abandonner. De retour à Fontsalte, il avait trouvé au château le notaire de la famille, convoqué par la marquise. À la demande de M me  de Fontsalte, Blaise avait signé une reconnaissance de paternité.
     
    « Nous ignorons, et c’est sans importance, le nom de la mère, mais c’est une Fontsalte. Et il faudra bien qu’on le sache quand nous la mettrons en pension. Que cela te plaise ou non, cette enfant est ta fille et tu dois à son égard agir en père. C’est ton devoir et une croix de plus à porter pour moi », avait ajouté la marquise en

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