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Hergé écrivain

Hergé écrivain

Titel: Hergé écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Baetens
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à empêcher qu’une explosion ne coule le vaisseau. Un
examen plus attentif révèle alors qu’autour du motif du
feu et de la lumière une double opposition s’agence.
D’une part, représentant du Malin, c’est-à-dire de l’antilumière, Rackham a pour trait caractéristique la noirceur.
Celle-ci le dresse contre François qui, lui, est entièrement
du côté de la lumière (témoin son testament où la lumière
se mentionne à plusieurs reprises et sous plus d’une
forme). D’autre part, faire sauter le navire constitue la
réponse de Hadoque à la torture que lui promet le chef
des pirates : « Demain matin, je te livrerai à mes hommes.
Et crois-moi, ils s’y entendent, ces agneaux, à faire mourir
quelqu’un à petit feu … » L’antagonisme, ici, ne concerne
plus le blanc et le noir, mais la déflagration et une lente
combustion qui l’une et l’autre jouent avec les stéréotypes
de l’iconologie religieuse : d’un côté, les diables grillantleurs victimes avec toutes les lenteurs requises (ainsi Rackham mérite-t-il son surnom : le « rouge ») ; de l’autre, la
foudre de l’ange exterminateur.
    Les liens entre l’exclamation « Par Lucifer » et la
séquence de l’explosion se resserrent encore plus si, à côté
de cette imagerie d’un catéchisme d’Épinal, l’on prend en
considération la place des langues étrangères (et du flamand en particulier) dans les Aventures de Tintin . Ainsi
qu’on l’a vu, ces langues font intrusion dans le français
quand celui-ci est l’objet d’une manière de désémantisation. Or les jurons sont un secteur du lexique où cette
perte du sens est très active 10 . Rien d’étonnant donc à ce
qu’Hergé fasse ici un petit détour par le flamand pour
augmenter les liens entre le juron et son entourage diégétique. En l’occurrence, il n’est sans doute pas insignifiant
que « lucifer » en flamand veuille dire « allumette ».
    Non moins révélatrice est l’étude axiologique des lieux.
Ici encore, le manichéisme est absolu, carrément stéréotypé. Le navire a un haut (le pont) et un bas (la sainte-barbe), celui-là souillé par les méchants qui en ont chassé
les bons, celui-ci permettant au bon de se venger des
méchants.
    C’est sur ces clichés qu’Hergé se met à travailler. Concrétisé en sainte-barbe, le bas se définit moins par le sème
« chaleur » (qui aurait rappelé les grils de l’enfer) que par
le trait « non-humidité » (mouillée, la poudre serait inutilisable). Or cette non-humidité projette dans la séquence
un thème dont l’humour compense ce que le combat avec
le diable pourrait avoir de trop moralisateur : celui, évidemment, de la soif. Car au moment de pénétrer dans la
sainte-barbe, le chevalier a surtout soif. Mais à la différence de son descendant, François de Hadoque sait maîtriser ses impulsions et s’imposer le jeûne lorsque les circonstances l’exigent. S’étant dégagé de ses liens et sachant
qu’il a besoin de toute sa présence d’esprit pour se venger
des flibustiers, François a la force de déposer la bouteille
de rhum sur laquelle il s’était d’abord précipité. Là encore,
il trouve dans Rackham un adversaire à sa mesure : tel un
maître s’interdisant la récréation, le chef des pirates se
tient à l’écart de la beuverie qu’organisent ses hommes. Et
pour peu qu’on regarde, il apparaît vite que le motif de la
boisson hante l’ensemble du duel entre Rackham et François. Tout se passe en effet comme si l’un savait (et savourait) l’étendue de la souffrance de l’autre. Le supplice qu’il
annonce y fait en tout cas allusion. S’il veut faire avaler sa
barbe à François, ne serait-ce pas aussi pour lui assécher
encore davantage la bouche ? Et la rage de François contre
Rackham ne laisse subsister aucun doute à ce sujet : pour
le capitaine, les pirates sont tout d’abord ceux qui le privent de boisson. L’importance de ce grief éclatera dans la
jubilation finale : ayant tué Rackham, Hadoque s’écrie :
« Victoire !… Rackham le Rouge est liquidé  !… Et yo-ho-ho ! et une bouteille de rhum !… » (je souligne). Et avant,
un identique désir de boire traversait déjà la presque totalité des insultes de François. Le « perroquet » désigne non
seulement un oiseau, mais aussi un verre d’absinthe ou un
mélange de pernod et de menthe. Le complément prépositionnel « de carnaval » dit très bien la

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