Herge fils de Tintin
lui demandant une audience, à Anvers, pour plus de discrétion ; il
souhaite connaître les conditions pour s’établir dans son
pays. Le lendemain, c’est au consul d’Argentine qu’il
adresse un courrier similaire. Dans le même temps, il se
renseigne auprès d’un certain G. Maltese, établi à Saõ
Paulo, sur « les possibilités qu’il y a là-bas dans le domainedes journaux pour enfants ». Et, quand il relance M. Orsi
à la légation d’Argentine, il lui demande des renseignements sur la presse et l’édition dans son pays.
Dans la biographie de Pierre Assouline, qui en fit état
pour la première fois, ce projet de départ en Amérique du
Sud est présenté comme l’une des pièces les plus accablantes du dossier Hergé. Le Brésil et l’Argentine n’ont-ils
pas à l’époque la triste spécialité de « l’accueil des collaborateurs en déroute et des nazis en cavale » ? N’est-ce pas là
que se sont réfugiés Mengele, Eichmann, Bormann et le
Belge Wilhem Sassen qui fut l’un des hommes de confiance
de Goebbels ? « À croire qu’Hergé veut absolument nous
tendre des verges pour le battre. À moins que son état
dépressif ne l’entraîne à se radicaliser plus encore 1 . »
Si cette vision n’est pas fausse, elle est assez réductrice.
Car, à cette époque, l’Argentine est particulièrement dynamique dans le domaine de l’illustration pour la jeunesse et
de la bande dessinée. C’est ainsi qu’en 1949 les Italiens
Hugo Pratt et Mario Faustinelli viennent travailler sur
place à la demande du directeur du journal Salgari ; Pratt
restera près de treize ans à Buenos Aires, y dessinant plusieurs milliers de planches 2 . L’attrait du nouveau monde
est également vif chez d’autres dessinateurs belges. Cette
même année 1948, Jijé part pour les États-Unis et le
Mexique avec deux jeunes dessinateurs : Franquin et
Morris. Traumatisé par la guerre froide, craignant un nouveau conflit dont l’Europe serait le théâtre, Jijé songe alors
à s’établir durablement au Mexique ; même loin de
l’Europe, les trois hommes continuent d’ailleurs de réaliser
leurs planches et de les envoyer aux éditions Dupuis.
Quoi qu’il en soit de ses motivations exactes, Hergé
pense sérieusement à larguer les amarres. Le 8 avril 1948,
juste après avoir bouclé les dernières planches du Temple
du Soleil , il envoie une lettre confidentielle à Louis Casterman pour lui dire que ses projets de départ pour l’Amérique du Sud commencent à prendre corps et qu’il a
besoin de son aide. Le consulat du pays – non précisé –
où Hergé voudrait se rendre lui demande, outre les pièces
officielles, un certificat attestant la profession qu’il exerce,
ainsi qu’une lettre de recommandation ou de garantie.
En ce qui concerne la profession, je crois que la meilleure
définition qu’on puisse donner de mes activités est la
suivante : « Dessinateur humoriste, auteur de nombreux
récits en images destinés à la jeunesse ».
Quant à la lettre de recommandation ou de garantie, je m’en
remets complètement à vous […].
Il va de soi que je ne partirai que lorsque la plus grande partie
de mon travail – qui vous intéresse – sera mis au point.
Notamment Les 7 Boules de cristal et Le Temple du Soleil .
D’autre part, il est certain qu’une fois installé là-bas, rien ne
m’empêchera de continuer à vous faire parvenir les dessins
nécessaires à l’édition des albums 3 .
Toujours sous le sceau du secret, Hergé confie à Louis
Casterman qu’il pense ne pas renouveler le contrat qui le
lie au journal Tintin . Il aurait ainsi la possibilité de réaliser
la mise en couleur des Cigares du Pharaon – le seul des
albums d’avant-guerre à être toujours en souffrance – etd’achever une série d’autres travaux, probablement des
remises au format des Exploits de Quick et Flupke et des Aventures de Jo, Zette et Jocko .
Sans doute Hergé a-t-il l’intention de procéder à ces
adaptations après son installation en Argentine, puisque le
même jour, il écrit une lettre à un certain J. Guérome, pseudonyme qui semble dissimuler Pierre Daye, un homme au
passé pour le moins tortueux. Grand reporter, notamment
au Soir avant la guerre, il avait été député rexiste, puis catholique. « Sauveur » de Léon Degrelle dans la cohue de 1940,
il était devenu ensuite l’un des piliers du Nouveau Journal .
Lorsque le vent avait tourné, il
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