Herge fils de Tintin
au mois de décembre. Hergé est rassuré, il dispose désormais d’un homme de confiance à un
poste stratégique. Il lui faudra un moment pour se rendre
compte que Dehaye, qui n’aime guère la bande dessinée,
n’est sans doute pas le meilleur ambassadeur de ses idées.
Pour l’heure, les Éditions du Lombard se portent à
merveille. Depuis le succès du « timbre Tintin », les activités ont connu un développement considérable. Raymond Leblanc, qui ne manque pas d’ambition, rêve
d’agrandir ses locaux. Un jour, il entend parler de terrains
disponibles à deux pas de la gare du Midi, laquelle est en
pleins travaux. Pourquoi ne pas construire un immeuble ?
Leblanc persuade ses deux associés de l’accompagner sur
place. Ce matin-là, il pleut à verse : le terrain est boueuxet le quartier paraît sinistre. Hergé ne cache pas son scepticisme. « Vous n’y pensez pas sérieusement, tout de
même ? » Mais Leblanc se montre si persuasif que le dessinateur accepte finalement de se porter acquéreur d’un
étage du futur bâtiment.
Le 13 septembre 1958, alors que Bruxelles accueille la
première Exposition universelle de l’après-guerre, le
nouvel immeuble des Éditions du Lombard est inauguré
en grande pompe par Paul-Henri Spaak, le plus célèbre
des hommes politiques belges de l’époque. Sur le toit
trône une enseigne au néon pivotante, qui deviendra
l’un des symboles de Bruxelles ; aujourd’hui encore,
alors que tout le quartier a été bouleversé, Tintin et
Milou accueillent le voyageur sortant de la gare du Midi.
C’est là que les photographes de Paris-Match réalisent des
clichés mythologiques à souhait, pour un article tonitruant. « Premier au départ pour la Lune : Tintin », titre
fièrement l’hebdomadaire, avant de retracer par le menu,
non sans inexactitudes, la carrière de son créateur. À lui
seul, le chapeau de l’article est un véritable poème : « Un
Belge fait peur à Walt Disney. C’est le père de Tintin, roi
des albums d’enfants. Sept ans avant Spoutnik et
Explorer, il est parti dans l’espace avec 8 millions de
gosses. »
La suite ne manque pas de sel, surtout si l’on se souvient de l’accueil réservé par Disney aux propositions
d’Hergé, dix ans auparavant :
Les ambassadeurs de Walt Disney en Europe tremblent. Le
tirage des vingt albums Tintin dépasse huit millions d’exemplaires. Tintin , qui est traduit dans toutes les langues, y compris l’hindou et l’arabe, a donné son nom au Journal de
Tintin : édition belge et flamande, 150 000 exemplaires ;
édition française : 150 000. Des « Clubs Tintin » se forment.
Ils ont déjà douze mille membres. À Orléans, les Journées del’aviation sont placées sous le signe de Tintin. Tintin déborde
son auteur : disques, poupées, télévision, bientôt un film.
Les adultes eux-mêmes ne résistent pas au charme de ce petit
personnage héroïque et débrouillard. Après tout, n’est-ce pas
les grandes personnes qui choisissent les lectures de leurs
enfants ?
Le portrait de l’auteur est tout aussi extravagant :
À cinquante et un ans, Hergé est resté extraordinairement
jeune. Le samedi après-midi, il saute dans sa Porsche 1600 et
se rend dans sa maison de campagne, à 30 km de Bruxelles.
C’est une maison de millionnaire, basse et blanche, posée sur
une pelouse verte. C’est lui-même qui en a conçu les
moindres détails. Le jardin est rempli de fleurs. Hergé, qui
n’a pas d’enfants, se promène seul dans les allées : il pense à
ce fils unique dont il est si fier, à Tintin chez qui il se surprend à retrouver, dans un réflexe de père, toutes les qualités
qu’il aurait voulu posséder : le goût de l’aventure, l’héroïsme,
l’impassibilité 3 .
Avec ses superlatifs et ses approximations, ce reportage
fera date et laissera une trace directe dans Les Aventures de
Tintin : le Paris-Flash des Bijoux de la Castafiore en est
directement issu.
Dans un style un peu différent, Marguerite Duras
consacre à Hergé un article des plus flatteurs dans France-Observateur : « Les albums de Tintin des éditions Casterman tournent autour du monde. On peut dire qu’il y
a une Internationale Tintin. Que tous les enfants du
monde civilisé ont une culture Tintin avant d’avoir la leur
propre, qu’ils boivent le lait Tintin, tous, uniformément,
comme eau de fontaine 4 . » À la même époque, Hergé estgratifié d’un long article dans le
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