Herge fils de Tintin

tibétaine – Lama.
    Abominable homme des neiges.
    Pourquoi partent-ils au Tibet : le yeti ?
     
    L’idée d’envoyer Tintin au Tibet avait déjà effleuré
Hergé. En 1941, la seconde pièce écrite en collaboration
avec Van Melkebeke, Monsieur Boullock a disparu , reconduisait Tintin à Shanghai, puis le faisait passer par Lhassa
où il rencontrait des moines tibétains. Et, en 1953, lors de
l’ascension de l’Everest par Hillary et de celle de l’Annapurna par Maurice Herzog, Hergé s’était dit qu’il y aurait
là un cadre somptueux pour une histoire 5 …
    Sans doute est-ce la lecture d’un livre de Bernard Heuvelmans qui relance l’intérêt d’Hergé pour le Tibet et
oriente l’histoire en direction du yeti. Depuis la fin desannées quarante, les travaux d’Heuvelmans se sont focalisés sur les énigmes que posent les animaux inconnus,
ceux dont l’existence n’est fondée que sur des légendes ou
de vagues indices. Fondateur de la « cryptozoologie », il
publie en 1955  Sur la piste des bêtes ignorées , qui connaît
un succès considérable. Un chapitre, long de quatre-vingts pages, est consacré à « l’abominable Homme des
neiges », analysant les témoignages de tous ceux qui prétendent l’avoir rencontré. L’ouvrage propose en outre de
nombreux documents – dont une photographie des traces
laissées par l’animal – ainsi que des descriptions sur lesquelles le dessinateur pourrait s’appuyer. Plusieurs anecdotes paraissent directement utilisables :
Le 18 avril 1952, René Dittert, André Roch et le futur vainqueur de l’Everest, le célèbre sherpa Sirdar Tenzing Norgay,
partirent en reconnaissance le long d’un glacier. Il régnait un
brouillard à couper au couteau. Quand les trois hommes
revinrent, ils s’aperçurent qu’à 5 800 mètres d’altitude, leurs
pistes se croisaient avec celles d’un groupe de yetis, qu’ils
avaient peut-être côtoyés dans la purée de pois 6  !
    Une énigme comme celle de l’Homme des neiges,
Hergé le pressent, constituerait un merveilleux point de
départ. Encore faudrait-il savoir comment la traiter. Le
dessinateur accumule les croquis et les notes sans parvenir
à un résultat convaincant :
Tibet.
    Abominable homme des neiges.
    Tournesol décide d’aller voir. Tintin et le capitaine l’accompagnent. Au moment où ils aperçoivent le yeti, un Européen
qui les accompagne épaule sa carabine et va tirer : Tintin fera
dévier le coup…
    Sagesse – etc.
    Ils atterrissent par hasard au Tibet.
    Pourquoi étaient-ils partis dans cette direction ?
    Il faut un motif.
    Ce qui préoccupe le plus Hergé, c’est de trouver une
bonne raison pour envoyer là-bas Tintin et ses compagnons. La curiosité ne suffit pas. Le dessinateur pense à
une « sombre histoire d’espionnage ou de faux tableaux »
ou à une statue de Bouddha qui aurait été volée ; le Dalaï-Lama en personne interviendrait dans l’histoire. Tintin
pourrait aussi partir sur les traces d’une expédition disparue ou se lancer à la recherche de Milou, enlevé par
l’abominable Homme des neiges…
    Et, brusquement, Hergé note le nom de Tchang,
l’éphémère personnage du Lotus bleu dont plusieurs lecteurs lui ont réclamé le retour. Tintin recevrait une lettre
de son ami, lui annonçant sa visite. Mais le jeune garçon
n’arrive pas. Il a disparu… Le lien entre Tchang et le yeti
ne tarde pas à se mettre en place. Hergé sent qu’il tient un
sujet fort, une histoire pure, dépouillée de « toute la panoplie traditionnelle du dessinateur de bandes dessinées :
pas de “mauvais” […], pas d’armes, pas de combats, sauf
celui de l’homme contre lui-même et contre les éléments
hostiles 7  ». Exactement l’inverse de Coke en stock .
    Pour mettre en scène le yeti, Hergé n’a nullement
l’intention de partir dans la fantaisie. L’animal doit être
crédible. En février 1958, le dessinateur reprend contact
avec Heuvelmans. « Je suis sur le point d’expédier
Tintin au Tibet, où il se doit de tomber nez à nez avec
quelques bêtes particulièrement ignorées. […] Herr
Doktor, j’attends de vous des détails encore plus croustillants, peut-être, que ceux contenus dans vos estimésouvrages 8 . » Heuvelmans est en plein dans le sujet et ne
demande qu’à mettre à la disposition d’Hergé tous les renseignements dont il pense disposer sur son « filleul velu ».
Sa femme, Monique Watteau, réalise même une