Herge fils de Tintin
elle
avait un curieux goût.
Il fallait aller plus haut pour en trouver : je le savais.
Je m’engageais dans un tunnel oblique creusé dans le rocher.
Un peu plus haut, le tunnel fait un coude. Là se trouve
un énorme rocher taillé comme un escalier. À chaque
marche qu’il gravit, le rocher se met à bouger. Hergé doit
se mouvoir avec précaution pour que le rocher ne bascule
pas. Dans la seconde partie du tunnel, il n’y a plus qu’une
échelle de fer, dont les derniers montants débouchent sur
le ciel, « ou plus exactement sur l’endroit où je savais que
se trouvait de la neige 16 ».
Plusieurs rêves mettent en scène ses parents. Dans l’un
d’eux, Hergé marche un soir sur une route, en précédant
son père et sa mère qui se donnent le bras ; brusquement,
la route tourne à angle droit et il les perd de vue. En marge
d’un des récits, Hergé s’avise soudain de la récurrence dans
sa vie d’un même type de femme, fragile et douce comme
sa mère. Fanny, comme autrefois Rosane, appartient à ses
yeux à ce genre. C’est comme si, de la femme maternelle
qu’était Germaine, il passait à une « petite fille », qu’il lui
faut protéger comme Alexis Remi protégeait Élizabeth.
D’autres rêves portent des traces évidentes de culpabilité. Hergé s’apprête à jouer au tennis avec une femme et
se fait interpeller par l’arbitre qui lui dit sur un ton
désapprobateur : « Des rayures horizontales pour jouer au
tennis !… », en désignant sa cravate. « J’étais très gêné, car
je savais qu’il avait raison. » Une autre fois, il est avec Germaine, en compagnie de son père et de son oncle Léon,
l’inséparable frère jumeau.
G[ermaine] dit quelque chose, en paraissant s’excuser avec
gentillesse et en penchant la tête du côté de mon père. Léon
proteste.
Et mon père se met à pleurer. Il marche et je le suis. Pour le
consoler, je lui dis quelques mots en terminant par « vieux ».
Quelque chose dans le genre de : « T’en fais pas, vieux. » Et
tout à coup, je me rends compte que ce terme peut le blesser
encore davantage et lui faire encore plus de peine. Je suis très
ennuyé 17 .
Hergé et Fanny discutent longuement de ces rêves.
Hergé note aussi ceux que lui raconte la jeune femme,
tant il est frappé par les similitudes qu’ils présentent avec
les siens. Par deux fois, Fanny fait le même cauchemar :
un incendie ravage les Studios ; elle voudrait s’enfuir et
actionner le signal d’alarme ; mais, quand elle se retrouve
dehors, les murs des Studios se lézardent avant de s’effondrer. Arrivée à son appartement, elle voit s’écrouler le
meuble sur lequel se trouve un vase chinois que Hergé lui
a offert ; de justesse, elle parvient à le sauver, mais tout le
reste est démoli. Alors qu’elle veut téléphoner, elle aperçoit Georges qui s’éloigne en voiture ; il est sauvé. Mais les
Studios continuent à brûler…
Lorsqu’il évoqua plus tard cette période, notamment
dans ses entretiens avec Numa Sadoul, Hergé déclara qu’il
s’agissait presque toujours de « rêves de blanc » : cela rendait plus évidents leurs liens avec Tintin au Tibet . Sitôt
que l’on se penche sur le récit de ces rêves, tel qu’il fut
consigné sur le moment, la réalité apparaît plus complexe.
Mais, bien qu’elle soit mêlée à beaucoup d’autres éléments, la blancheur tient effectivement une grande place
dans plusieurs de ces cauchemars :
Je gravissais une espèce de rampe, dans une tour (la tour
Hassan, à Rabat 18 ?) où tout , le sol, les murs, les mains courantes, était tapissé de feuilles mortes […]. Le silence était
total. Finalement, plein de crainte, je me suis décidé à redescendre […]. À un palier, il y avait, étendu sur une sorte de
grand socle, un cadavre (blanc ?), j’en ai pris une jambe, qui
m’est restée entre les mains. C’était une espèce de tube en
carton-pâte, très léger, que j’ai jeté dans la cage d’escalier. À
ce moment, un palier plus bas, et à gauche, s’est ouvert le
mur (?) et en a surgi une tête de mort, toute blanche, puis
une sorte de démon, un homme très grand, tout blanc et terrible, qui a jeté la tête de mort et des ossements et des tas de
trucs, dans la cage d’escalier. J’étais terrifié, car je savais qu’il
allait me jeter, moi aussi, dans le vide. J’ai essayé de passer
mais, sautant pardessus le vide, il m’a barré la route. Et je
savais que je
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