Herge fils de Tintin

sorte de
« reconstitution graphique » de cet animal introuvable.
    Le cryptozoologue regretta plus tard d’avoir, sur plusieurs points, induit le dessinateur en erreur. Non qu’il
ait fini par mettre en doute l’existence du yeti, mais simplement parce que l’idée qu’il s’en fait a évolué au fil du
temps. À l’époque où Hergé l’avait consulté, il croyait
que le yeti était un grand singe de taille considérable qui
dépassait deux mètres, peut-être même deux mètres cinquante. « En réalité, par des travaux plus précis et des
informations plus méticuleuses que j’ai reçues par la
suite, il s’avère que le yeti est un être qui ne dépasse guère
la taille d’un adolescent, disons un grand singe de la
taille d’un chimpanzé ou d’un orang-outang. Et c’est à
mon avis un parent peut-être éloigné de l’orang-outang,
disons un orang-outang terrestre plutôt qu’arboricole 9 . »
    Toujours désireux de multiplier les sources d’information, même pour un sujet comme celui-là, Hergé rencontre également Maurice Herzog qui lui confie avoir vu
dans la neige des traces ne pouvant appartenir à aucune
espèce d’animal connue. Plus étrange encore, elles s’arrêtaient brusquement au pied d’un pan de montagne quasi
inaccessible… Pour Heuvelmans comme pour Herzog, le
fait que l’animal n’ait jamais été pris en photo n’est nullement une preuve qu’il n’existe pas. Dans ces régions reculées, il y avait alors de nombreux animaux qui n’avaient
jamais été photographiés.
    Hergé tient désormais le bon bout. Par-delà le yeti, le
monde tibétain assez mythique qu’il compte décrire à la
fin de l’album doit lui permettre de traiter d’une série de
phénomènes qui le fascinent et dont les livres de Fosco
Maraini et d’Alexandra David-Néel lui ont donné une
première idée. Comme l’explique Bernard Heuvelmans :
Hergé était très intéressé par toutes les sciences un peu marginales […] Je suis d’ailleurs persuadé qu’il aurait fait un
admirable savant ; il avait toutes les qualités qui
convenaient : un esprit ouvert, rigoureux et précis ; il était
très méticuleux, vérifiait les moindres détails. Mais il avait
une attirance indiscutable pour les phénomènes inexpliqués.
Je pense que Hergé croyait profondément à la réalité de tous
ces phénomènes de clairvoyance, de télépathie, de rêves prémonitoires que l’on voit dans Les Aventures de Tintin . Il les
traitait d’ailleurs tout à fait sérieusement. Il suffit de comparer la façon dont il évoque l’apesanteur dans On a marché
sur la Lune  – il en fait quelque chose de comique alors que
c’est une réalité scientifique établie – et la manière dont il
montre le moine qui lévite dans Tintin au Tibet  : là, il évoque
le phénomène d’une manière très sérieuse, et presque avec
déférence, parce qu’il y croyait profondément 10 .
    Notons d’ailleurs, sans quitter ce registre des phénomènes étranges, que l’on peut observer d’étonnants effets
de symétrie dans la vie et dans l’œuvre d’Hergé. L’année
1944 marque le milieu exact de son existence et constitue
un point de rupture évident. Les deux couples qu’il formera auront la même longévité, vingt-cinq ans et cinq
mois, si l’on considère novembre 1957, le moment de
l’aveu, comme celui du passage de Germaine à Fanny. Les
deux femmes correspondent chacune à une période bien
définie de l’œuvre : la construction des Aventures de Tintin avec Germaine (de Tintin au pays des Soviets à Coke en
stock ), sa remise en question avec Fanny (de Tintin au
Tibet à Tintin et l’Alph-Art ). Les deux livres-pivots sont
placés sous le signe de Tchang : Le Lotus bleu est le cinquième album de la série ; Tintin au Tibet , le cinquième
avant la fin… La série des Aventures de Tintin mises en
couleur comprend vingt-deux albums ; elle est complétée
par deux albums mythiques : Tintin au pays des Soviets à
l’orée de l’œuvre, l’inachevé Tintin et l’Alph-Art à son
terme. Les familiers de l’œuvre compléteront aisément
cette liste. S’agissant d’un homme qui attribuait une
grande importance au fait d’être né sous le signe des
Gémeaux, un 22 mai (22.5), dont le père avait un frère
jumeau et dont l’œuvre multiplie les occurrences du
double, ces coïncidences méritaient peut-être d’être relevées…
     
    Avec sa trajectoire dépouillée, sa