Herge fils de Tintin

dont il a fait preuve. » C’est
un peu court pour celui qui a redressé le journal. D’autant
que, bientôt, on envoie Wallez dans une paroisse perdue,
aux abords de Charleroi : les ruines de l’abbaye d’Aulne.
    Hergé encaisse sévèrement le coup. Avec l’abbé disparaît son seul véritable lien avec Le Vingtième Siècle . Le dessinateur commence à sentir que ce quotidien, qui l’a
lancé, pourrait devenir un frein à sa carrière. Notamment
parce que son contrat lui interdit de publier dans d’autres
supports, comme Vers le vrai que vient de lancer son ami
Julien De Proft.
     
    La « réclame », en revanche, lui a toujours été autorisée.
Et en ce début des années trente, ce n’est pas une activité
secondaire. De facture très soignée, les travaux de cette
époque prouvent qu’il accorde alors autant d’importance
à ces réalisations publicitaires qu’aux Aventures de Tintin .
Hergé pense alors encore que le succès de ses petites
histoires risque de ne pas durer et qu’il serait temps,
maintenant qu’il est marié, de se trouver un véritable
métier.
    L’Atelier Hergé démarre de façon informelle. José
De Launoit, qui partage au Vingtième Siècle le bureau
d’Hergé et de Jam, est en charge de l’Agence générale
belge de publicité, une filiale du journal. Comme
Georges, il a le goût de la lettre et de la composition.Naturellement, les deux amis décident de s’associer. Dès
1931, plusieurs images paraissent sous le label « Atelier
Hergé » : des commandes pas toujours exaltantes pour un
magasin de sport, un marchand de meubles, ou pour des
engrais à la potasse. En 1933, l’Atelier Hergé n’a pas
d’existence légale, mais il est de plus en plus actif. Hergé
et son associé réalisent des campagnes publicitaires pour
Le Bon Marché et son rival l’Innovation, pour les biscuits
Parein et Victoria, mais aussi pour le ventilateur Frigid
Junior, la brasserie Léopold, le fortifiant Magneshal ou la
Sabena 15 .
    La société est constituée officiellement le 3 janvier
1934, par Georges Remi, José De Launoit et un certain
Adrien Jacquemotte sur lequel on sait peu de chose. La
société loue un bureau de trois pièces au premier étage du
9, rue Rouppe, en plein centre de Bruxelles, qui devient
pour un temps le lieu de travail principal d’Hergé. Mais
la situation se dégrade rapidement. Le 13 juillet, les trois
associés signent une convention de liquidation. Manifestement, c’est Jacquemotte qui était en cause : Hergé
reprend seul le nom « Atelier Hergé », déménage pour un
immeuble plus cossu dans un quartier à la mode… et
réengage De Launoit.
    Germaine Kieckens en était persuadée : si la bande dessinée n’avait pas pris le dessus, Hergé aurait pu devenir un
affichiste et un publicitaire de premier ordre. Les travaux
du début des années trente incitent à lui donner raison.
Simplicité, élégance, efficacité : autant de qualités communes à la « réclame » telle qu’il l’envisage alors et à la
bande dessinée telle qu’il la pratiquera toute sa vie. La
recherche d’une forme dynamique, d’un axe évident delecture et d’un impact immédiat – caractéristiques des
affiches de l’époque – marqueront profondément sa
conception de la couverture. Contrairement à bon
nombre d’auteurs de bande dessinée, Hergé ne traitera
jamais une couverture comme une simple case agrandie :
il n’est que de regarder Le Lotus bleu ou L’Affaire Tournesol pour s’en persuader. L’importance accordée au lettrage est
une autre trace de son travail publicitaire. La lettre Tintin
n’est-elle pas l’un des éléments qui permettent d’identifier
immédiatement ses albums ?
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    1  Lettre d’Hergé à Germaine Kieckens, 3 avril 1931.
    2  Lettre d’Hergé à Germaine Kieckens, 17 juillet 1931.
    3  Note personnelle d’Hergé du 4 décembre 1931. Citée par
Philippe Goddin in Hergé, chronologie d’une œuvre , Moulinsart, 2001,
tome II, p. 44.
    4  Lettre d’Hergé à Germaine Kieckens, 7 décembre 1931.
    5  Témoignage de Germaine Kieckens à l’auteur, 1988.
    6  Lettre d’Hergé à Germaine Kieckens, 13 mai 1932.
    7  Lettre d’Hergé à Germaine Kieckens, 18 mai 1932.
    8  Cité par Éric Fournet, Quand Hergé découvrait l’Amérique ,
Bruxelles, Didier Hatier, 1992.
    9  Lettre de Charles Lesne à Hergé, 4 avril 1932. C’est Lesne qui
souligne.
    10  Nombre de ces dessins ont été