Herge fils de Tintin
Portugais ?… Les Portugais sont toujours
gais !… Chic ! On va rigoler », s’exclame Milou dans la
case où le voyageur de commerce fait son entrée. Cela
tombe bien : un peu plus tard, Les Aventures de Tintin seront reprises à Lisbonne dans le journal O Papagaio que
crée l’abbé Varzim. Ce sera, curieusement, la première
traduction de la série.
La deuxième figure prendra de plus en plus d’importance au fil des ans, s’imposant comme le principal
ennemi de Tintin. Il s’agit de Roberto Rastapopoulos, le
forban à la couverture si honorable que Tintin s’y fiera
pendant un bon moment. Dans Les Cigares du Pharaon ,le reporter, pour une fois un peu naïf, raconte ses malheurs au patron de la « Cosmos Pictures » et accepte de lui
venir en aide dans son enquête sur le trafic d’armes. Mais
peut-être l’auteur n’avait-il pas encore pris toute la mesure
du personnage.
Dans une lettre tardive, Hergé donna quelques précisions sur la naissance de son « mauvais » le plus célèbre :
Rastapopoulos ne représente exactement personne en particulier. Tout est parti d’un nom, nom qui m’avait été suggéré
par un ami ; et le personnage s’est articulé autour de ce nom.
Rastapopoulos, pour moi, est plus ou moins grec louche
levantin (sans plus de précision), de toute façon apatride,
c’est-à-dire (de mon point de vue à l’époque) sans foi ni
loi !… Un détail encore : il n’est pas juif 3 .
La troisième entrée en scène n’est pas la moins fracassante. C’est celle de ces deux détectives qui, dans la version noir et blanc de l’album, se font encore appeler X33
et X33 bis, mais que chacun connaît aujourd’hui sous le
nom de Dupond et Dupont. Ces figures d’autorité particulièrement dérisoires sont, de l’aveu d’Hergé, un écho
probable de son père et de son oncle, les jumeaux inséparables. Ils sont aussi un souvenir évident du cinéma burlesque qui a bercé son enfance. Dès leur apparition, les
deux policiers n’hésitent pas à braver mille dangers pour
arracher Tintin à la mort. Pourquoi ? Simplement pour
que la prime destinée à celui qui l’arrêterait ne leur
échappe pas. « À présent que tu es sauvé, il ne nous reste
plus qu’à retourner en Europe et à te mettre en prison
pour toucher la somme et nous faire décorer 4 . » À cettebêtise littérale et autosatisfaite, Dupond et Dupont resteront fidèles jusqu’au bout.
Pendant la publication de l’histoire, l’actualité transparaît dans les pages du Petit Vingtième . La rubrique « Ce
qui se passe » mêle les nouvelles politiques internationales
aux faits divers pittoresques : quand il ne trouve rien
d’assez amusant, Jamin ne craint pas d’inventer des informations. Il n’empêche qu’entre une note sur le professeur
Auguste Piccard qui lance un nouveau ballon dans la stratosphère et une dépêche sur « les deux cents veuves du roi
du Zoulouland », on peut identifier les événements
majeurs des années trente, qui alimenteront les prochaines Aventures de Tintin : le conflit sino-japonais, la
guerre du Gran Chaco entre la Bolivie et le Paraguay et les
retombées de la crise économique qui, après avoir frappé
les États-Unis, commence à sévir en Europe.
Mais, en 1933, il ne se passe quasiment pas de semaine
sans que l’on fasse état de quelque lugubre nouvelle venue
d’Allemagne. Si Mussolini avait enthousiasmé l’abbé
Wallez, Hitler n’est heureusement pas en odeur de sainteté au Petit Vingtième , comme le montrent ces échos :
Le gouvernement allemand a fait interdire bon nombre de
journaux étrangers. Il y en a 291, pas moins ! Il serait peut-être plus facile de publier la très courte liste des journaux
encore admis dans ce pays de liberté.
Le gouvernement du Reich prend des mesures sévères pour
expulser tous les étrangers de la communauté allemande.
Parmi ces étrangers, on compte un bon nombre de naturalisés et surtout des juifs… Oui, mais si on se met à expulser
ou boycotter ceux qui ne sont pas cent pour cent Allemands,
que va devenir Adolf Hitler qui est Autrichien ?
C’est par milliers qu’on envoie juifs, marxistes, communistes, et en général tous ceux qui ne crient pas « HeilHitler ! » avec le petit doigt sur la couture du pantalon, dans les
« camps de concentration ». Voilà maintenant qu’on vient d’y
envoyer les Allemands, Aryens et non-Aryens, qui se permettaient d’écouter les émissions
Weitere Kostenlose Bücher