Herge fils de Tintin
inspiré par les livres de Henri de Monfreid – est
manié par Hergé avec humour et légèreté et une évidente
jubilation. L’auteur vient de découvrir les possibilités du
romanesque et s’en amuse visiblement. Le nom du Pharaon, « Kih-Oskh », n’est-il pas un simple calembour sur
la réalité à laquelle est confronté l’auteur semaine après
semaine : le kiosque ?
Dans Le Petit Vingtième , la publication de cette quatrième aventure de Tintin s’accompagne d’une sorte de
jeu interactif. Dès le premier numéro de 1933, Hergé
commence à faire participer son public à l’élaboration de
l’histoire, inaugurant une rubrique intitulée : « Notre
grande enquête : le mystère Tintin ». Cette remarquable
opération publicitaire est présentée par Jam de la façon
suivante :
Les circonstances mystérieuses qui ont entouré l’arrestation
de Tintin ont vivement ému nos lecteurs.
Certains d’entre eux ont bien voulu nous communiquer leur
point de vue sur cette ténébreuse affaire. Plusieurs ont émis
des idées qui montrent de surprenantes qualités d’observation et de déduction.
Cela contribuera-t-il à soulever le voile épais qui nous cache
les véritables ennemis de notre grand reporter ?
Nous disons « les ennemis » car il est hors de doute qu’une
puissance occulte s’acharne depuis son départ à entraver le
reportage de Tintin.
Qui sont ces ennemis ? Que veulent-ils à Tintin ? C’est ce
que Le Petit Vingtième veut savoir.
Et c’est pour « faire jaillir la lumière » que la collaboration des lecteurs est demandée. Chacun est invité à faire
part de ses observations et des conclusions auxquelles il
arrive. « Ceci n’est pas un concours, bien entendu, c’est
une enquête. Nous ne pourrions, à l’heure actuelle, dire
qui donnera à ce mystère une solution exacte : qui pourrait rassembler assez de preuves pour désigner sans erreur
le ou les coupables ? »
D’emblée, « l’enquête » fait recette. Les réponses affluent
au journal et la rédaction peut bientôt annoncer que
« l’affaire » mobilise des milliers d’enfants à travers la Belgique. Semaine après semaine, l’Oncle Jo pose de nouvelles questions qui reçoivent de nouvelles réponses. Il est
vrai que « le mystère Tintin » correspond à merveille à
l’histoire qui ne s’appelle encore que Tintin en Orient . Il
est vrai aussi que ce type de démarche est au goût du jour :
les années trente voient le triomphe des romans d’énigme
d’Agatha Christie et d’Ellery Queen, ce dernier agrémentant chacun de ses ouvrages d’un « défi au lecteur » tout à
fait explicite.
Quoique ayant été improvisée de bout en bout, cette
histoire est la première des Aventures de Tintin à posséder un semblant d’unité narrative. Ainsi que l’a fort
bien noté Thierry Smolderen, on voit régulièrement
réapparaître dans Les Cigares du Pharaon , à travers les
péripéties les plus extravagantes, un élément insaisissable et mystérieux. Cet élément qui ne cesse de
« s’insinuer dans les replis du récit et sauter d’un support à l’autre, du papyrus à une lettre, d’une bague de
cigares aux arbres d’une forêt », cet élément autour
duquel tous les personnages ne cessent de tourner et qui
paraît doté d’un pouvoir si redoutable, c’est le signe deKih-Oskh 2 . Ce cercle traversé par une ligne serpentine
et doublement ponctué est un peu le sceau qui, dès la
couverture, donne aux Cigares du Pharaon un climat
inoubliable . Écho distrait, selon Hergé lui-même, de la
représentation taoïste du Yin et du Yang et préfiguration
de la « marque jaune » d’Edgar P. Jacobs, ce signe n’est pas
étranger à la fascination qu’exerce cette histoire.
Les Cigares du Pharaon , c’est aussi l’album où apparaissent plusieurs nouveaux personnages de la série. Hergé
commence à élargir les dimensions de son univers. À
l’inventaire géographique qui caractérisait les trois premières aventures était liée la figure d’un héros unique et
invincible. Au système narratif plus élaboré qui est en
train de se mettre en place va correspondre une structure
plus complexe où Tintin se trouve confronté à de véritables interlocuteurs.
Le premier de ces nouveaux venus ne réinterviendra
que de façon épisodique. Il s’agit d’Oliveira da Figueira,
« le Blanc-qui-vend-tout » ainsi que l’appellent les hommes
du désert. « Un
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