Herge fils de Tintin
son
amitié pour l’abbé, Hergé a trouvé cette exigence abusive.
Sur le conseil de Lesne, il est entré en contact avec le représentant belge du Syndicat de la propriété artistique, dont
l’avis a été on ne peut plus clair : « Au point de vue moral, Le Vingtième Siècle n’a absolument aucun droit sur les droits
d’auteur qui doivent vous revenir du fait des reproductions
dans d’autres journaux 11 . » Et les choses se sont arrangées.
Mais, avec la nouvelle direction, les rapports se sont
nettement tendus. En mars 1934, Hergé paraît décidé à
quitter Le Vingtième Siècle et envoie une lettre de préavis.
Il ne s’embarrasse pas de circonlocutions : « Si j’ai pris
cette décision, c’est que j’ai acquis la conviction qu’il me
serait difficile, avant de très longues années, de retirer des
fonctions que j’occupe chez vous des avantages qui puissent présenter une progressivité suffisante 12 . » Hergé est
en position de force : le journal aurait du mal à se passer
de son supplément pour la jeunesse, dont le succès ne
cesse de croître. Le Petit Vingtième est désormais autonome : les enfants peuvent s’y abonner même si leurs
parents ne lisent pas le quotidien.
Le 1 er novembre, après de longues tractations, Hergé
signe un contrat avec le nouvel administrateur,
M. Herinckx. Ses appointements mensuels passent de
deux mille à trois mille francs ; il reste libre de travailler
chez lui ou au journal ; ses seules obligations sont de
remettre chaque samedi les planches de Tintin , de Quick
et Flupke et l’illustration de couverture. Désormais, il peut
se concentrer sur ses propres créations, laissant à Jam la
complète responsabilité du reste de l’hebdomadaire. Heureux d’être parvenu à une solution satisfaisante, Hergé
dessine pour Le Vingtième Siècle l’une de ses affiches les
plus réussies. Graphique à souhait, elle fait l’éloge de ce
journal, présenté comme « le plus complet, le mieux
informé », celui dont les articles reflètent « toutes les
nuances de l’opinion catholique 13 ».
Il n’en reste pas moins que, depuis le départ de l’abbé
Wallez, Charles Lesne est devenu le principal interlocuteur d’Hergé. Et il ne craint pas de donner son avis. Pour
ce qui est des albums de Tintin, l’éditeur estime par
exemple qu’ils sont très chers, surtout pour des volumes
en noir et blanc. Le prix de 20 francs peut à la rigueur
passer pour la Belgique étant donné la notoriété de
Tintin. Mais il serait impraticable en France où, « pour
10 francs français, on trouve de merveilleux albums en
couleur ». C’est l’amorce d’un long combat pour transformer la présentation des Aventures de Tintin .
Le 4 mars 1934, Louis Casterman a fait parvenir à M.
G. Remy ( sic ) ce que l’on peut considérer comme un premier contrat. L’édition de Tintin en Orient sera réalisée sur
les bases suivantes :
1° Le droit d’auteur sera de 3 frs par exemplaire vendu, suivant relevé semestriel des ventes, jusqu’à concurrence de
10 000 ex. ; au-delà des 10 000 ex., le droit sera de 2 frs par
exemplaire vendu.
2° Le tirage se fera au fur et à mesure des besoins de la vente ;
il vous sera fait part de chaque tirage effectué.
3° Notre maison aura l’exclusivité de la vente, en Belgique et
à l’étranger. […]
4° Nous éditerons également l’album « Quick et Flupke »,
mais en prévoyant un tirage limité à la Belgique, soit
5000 ex., avec droit d’auteur de 3 frs sur ce tirage, et droit
d’auteur de 2 frs en cas de tirage supplémentaire. […]
Diminuer le droit d’auteur en cas de nouvelle édition
est une pratique si paradoxale que l’éditeur tente de la
justifier :
La limitation du droit d’auteur de 3 frs aux chiffres de tirage
prévus, respectivement, pour chacun de ces deux albums, se
justifie par le fait que plus le tirage devient important, plus
les risques de vente s’accroissent. L’éditeur faisant tous les
frais des tirages supplémentaires, il est juste qu’il se couvred’autant plus rapidement que le risque est devenu plus
grand 14 .
Ces phrases ne manquent pas d’ironie quand on
connaît la suite des relations d’Hergé avec l’éditeur tournaisien. Mais aucune des deux parties n’imagine à cette
époque l’ampleur que va prendre leur collaboration. Et il
ne faut pas oublier que le droit de base accordé à Hergé
correspondait à un pourcentage exceptionnel
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