Herge fils de Tintin
gentillesse du père Lou caressant
notre chatte et nous félicitant de ne pas l’avoir abandonnée.
L’intérêt qu’il portait à ce petit animal, emporté malgré lui
dans la tourmente de la guerre, nous émut au-delà de toute
expression. Et je ne l’ai pas oublié 1 .
La nièce d’Hergé, Denise, garde de la présence de
Thaïke un souvenir nettement moins lyrique. Malade de
jalousie à cause de la présence de la petite fille, la chatte ne
cesse pas de miauler pendant cet interminable trajet 2 .
Des cohortes de voitures, bourrées de passagers, couvertes
de valises et de matelas, se faufilent entre les camions et les
véhicules militaires dont elles perturbent le mouvement.
Arrivé à Paris, le petit groupe erre dans le Quartier
latin, sans parvenir à trouver un hôtel. Heureusement, rue
d’Assas, Hergé tombe sur Marie-France Sebileau, une collaboratrice de Cœurs Vaillants qui se débrouille pour les
loger, avant de leur conseiller de partir vers le sud, chez le
dessinateur Marijac. De manière on ne peut plus opportune, l’abbé Courtois règle à Hergé quelques arriérés de
droits.
Toujours dans leur Opel Olympia, ils traversent la
France jusque dans le Puy-de-Dôme. Arrivés à Saint-Germain-Lembron, près d’Issoire, ils n’y trouvent pas Marijac
qui a été mobilisé. Mais sa femme leur procure unemaison, dans un village voisin. Ils y passent six semaines,
dans une extrême inquiétude. Sans possibilité de contact
direct avec ses parents, Hergé est tenu d’écrire à son éditeur portugais pour tenter de les rassurer :
Malheureusement, mes parents n’ont pu quitter Bruxelles.
Et je suis naturellement sans aucune nouvelle d’eux depuis
près d’un mois. Puis-je vous demander s’il vous serait possible d’écrire à mon père :
Alexis Remi, 17, avenue Delleur, Boitsfort, Bruxelles
pour lui dire que ma belle-sœur, sa petite fille, ma femme et
moi-même nous sommes en sécurité et que nous sommes
tous en bonne santé.
D’autre part, comme nous avons dû fuir précipitamment, je
ne dispose que de maigres ressources. Je vous serais très
reconnaissant si vous pouviez me faire parvenir […] le montant des droits relatifs à Tintin en Angola [ sic ] et à L’Oreille
cassée 3 .
Pendant ce temps, tandis que les défenses des Belges et
de leurs alliés s’effondrent jour après jour, la tension entre
le roi et ses ministres a mené à la rupture. Le 25 mai, une
entrevue dramatique a lieu au fort de Wynendaele. Craignant de tomber aux mains de l’ennemi, les quatre principaux ministres décident de rejoindre leurs collègues en
France. Léopold III, qui dirige personnellement les opérations militaires, refuse pour sa part de quitter le pays ;
son devoir, dit-il, est de rester aux côtés de ses concitoyens. Ses premiers soucis sont le maintien d’une relative
indépendance de la Belgique et l’avenir de la monarchie.
Le roi est persuadé que, s’il quitte le pays, il n’y reviendra
jamais.
Quoi qu’il en soit, sur le plan militaire, la situation est
de plus en plus désespérée : pendant la campagne des dix-huit jours, l’armée belge perd dix-huit mille hommes, et
ses défenses s’effondrent les unes après les autres. Hitler
exige une reddition sans conditions à laquelle Léopold III
se résigne pour éviter des massacres inutiles. Sur le front
belge, le feu cesse le 28 mai à 4 heures du matin. En
France, c’est le choc. On n’a pas de mots assez durs pour
stigmatiser l’attitude du souverain belge qui a capitulé
sans même consulter ses alliés. Quant aux ministres du
gouvernement belge, en dépit de leurs propres hésitations
pendant les jours précédents, ils crient eux aussi à la trahison et déclarent le roi « dans l’impossibilité de régner ».
Le 28 mai, la radio diffuse un message de Léopold III :
« Je ne vous quitte pas dans l’infortune qui nous accable,
et je tiens à veiller sur votre sort et celui de vos familles.
Demain, nous nous mettrons au travail avec la ferme
volonté de relever la patrie de ses ruines. » Et il appelle les
Belges réfugiés à l’étranger à rentrer au plus vite au pays.
Comme l’immense majorité des Belges, Hergé apprécie
l’attitude du souverain. C’est dans une lettre tardive au
colonel Remy qu’il a exprimé avec le plus de force son idée
sur le sujet.
Pour ma part, le sentiment et la raison m’ont placé d’emblée,
et sans une seule hésitation, du côté de ceux qui approuvèrent la
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