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que jamais les communistes ne pourront la détruire. Ni eux
ni la France. Ni les Juifs, évidemment. À Kiel, Munich, Hambourg, Brême,
Berlin, la discipline allemande va reprendre les rênes de la raison, du pouvoir
et de la guerre.
Mais la porte s’ouvre.
Elizabeth, la mère, fait irruption dans la pièce. Elle est complètement
affolée. Le Kaiser a abdiqué. La république est proclamée. Un socialiste est
nommé à la chancellerie. Ils veulent signer l’armistice.
Reinhardt, muet de stupeur, les
yeux écarquillés, se tourne vers son père. Celui-ci, après de longues secondes,
parvient à murmurer une seule phrase : « Ce n’est pas
possible. » Nous sommes le 9 novembre 1918.
19
Je ne sais pas pourquoi Bruno
Heydrich, le père, était antisémite. Ce que je sais, en revanche, c’est qu’on
le considérait comme un homme très drôle. C’était, paraît-il, un joyeux drille,
un vrai boute-en-train. On disait d’ailleurs que ses blagues étaient trop
drôles pour qu’il ne soit pas juif. Au moins, cet argument ne pourra pas être
utilisé contre son fils, qui ne se distinguera jamais par un très grand sens de
l’humour.
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L’Allemagne a perdu, le pays
est désormais en proie au chaos et, selon une frange grandissante de la
population, les Juifs et les communistes le mènent à la ruine. Le jeune
Heydrich fait vaguement le coup de poing, comme tout le monde. Il s’enrôle dans
les Freikorps, ces milices qui veulent se substituer à l’armée en combattant
tout ce qui est à la gauche de l’extrême droite.
Cela dit, les Corps francs, ces
organisations paramilitaires dédiées à la lutte contre le bolchevisme, voient
leur existence officialisée par un gouvernement social-démocrate. Mon père
dirait qu’il n’y a là rien d’étonnant puisque, d’après lui, les socialistes ont
toujours trahi. Pactiser avec l’ennemi serait une seconde nature pour eux. Il a
toujours des tas d’exemples. En l’occurrence, c’est bien un socialiste qui
écrase la révolution spartakiste et fait liquider Rosa Luxemburg. Par les Corps
francs.
Je pourrais donner des
précisions sur l’engagement d’Heydrich dans ces Corps francs mais cela ne me
semble pas nécessaire. Il suffit de savoir qu’en tant qu’adhérent, il a fait
partie des « troupes de secours techniques », dont la vocation était
d’empêcher les occupations d’usines et d’assurer le bon fonctionnement des
services publics en cas de grève générale. Déjà ce sens de l’Etat si
aigu !
Ce qui est bien, avec les
histoires vraies, c’est qu’on n’a pas à se soucier de l’effet de réel. Je n’ai
pas besoin de mettre en scène le jeune Heydrich à cette période de sa vie.
Entre 1919 et 1922, il vit toujours à Halle (Halle-an-der-Saale, j’ai
vérifié), chez ses parents. Pendant ce temps, les Corps francs prolifèrent un
peu partout. L’un d’eux est issu de la célèbre brigade de marine
« blanche » du capitaine de corvette Ehrhardt. Il a pour insigne une
croix gammée, et son chant de guerre s’intitule : Hakenkreuz am
Stahlhelm (« Croix gammée au casque d’acier »). Voilà qui pose le
décor mieux que la plus longue description du monde, à mon avis.
21
C’est donc la crise, le chômage
ravage l’Allemagne, les temps sont durs. Le petit Heydrich voulait être
chimiste, ses parents avaient rêvé d’en faire un musicien. Mais en temps de crise,
c’est l’armée qui constitue la valeur refuge. Fasciné par les exploits du
légendaire amiral von Luckner, un ami de la famille qui s’est lui-même surnommé
« le démon des mers » dans le best-seller éponyme qu’il a écrit à sa
gloire, Heydrich s’engage dans la marine. Un matin de 1922, le grand jeune
homme blond se présente à l’école d’officiers de Kiel, tenant à la main un étui
à violon noir, cadeau de son père.
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Le Berlin est un
croiseur de la marine allemande, qui a pour commandant en second le lieutenant
de vaisseau Wilhelm Canaris, héros de la première guerre, ex-agent secret et
futur chef du contre-espionnage de la Wehrmacht. Sa femme, violoniste, organise
des soirées musicales chez eux, le dimanche. Or, il advient qu’une place est
vacante dans son quatuor à cordes. Le jeune Heydrich, qui sert sur le Berlin ,
est donc convié pour compléter l’orchestre. Apparemment, il joue bien, et ses
hôtes, contrairement à ses camarades, apprécient sa compagnie. Il devient un
habitué des soirées musicales de Frau
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