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il a manqué
la voiture mais c’est lui qui a blessé Heydrich. Heureusement que Jan était là.
Ils n’ont pas rempli leur mission mais grâce à lui, ils ont quand même touché
la cible. On sait maintenant que Prague n’est pas Berlin et que les Allemands
ne peuvent pas s’y comporter comme chez eux. Mais faire peur aux Allemands, ce
n’était pas ça, l’objectif d’Anthropoïde. Peut-être après tout cet objectif
était-il trop ambitieux : jamais on n’a abattu un dignitaire nazi de ce
niveau-là. Mais non, qu’est-ce que je raconte ! Sans cette saloperie de
Sten, il lui aurait fait son affaire, à ce porc… La Sten, la Sten !…. Une
vraie merde, je vous dis.
233
L’état d’Heydrich s’est
brutalement et inexplicablement dégradé. Une forte poussée de fièvre s’est
emparée du protecteur. Himmler est accouru à son chevet. Le long corps
d’Heydrich est étendu sans forces sous un mince drap blanc trempé de sueur. Les
deux hommes philosophent sur la vie et la mort. Heydrich cite une phrase tirée
de l’opéra de son père : « Le monde est un orgue de Barbarie que
Notre Seigneur fait tourner et nous devons tous danser sur sa musique. »
Himmler demande des
explications aux docteurs. La guérison du patient leur semblait en bonne voie
mais soudain une violente infection s’est déclarée. La bombe contenait
peut-être du poison ou ce sont les crins du siège de la Mercedes qui ont pénétré
la rate, il y a plusieurs hypothèses, ils ne sauraient dire laquelle est la
bonne. Mais si, comme ils le croient, il s’agit d’un début de septicémie,
l’infection va très rapidement se propager et la mort survenir dans les
quarante-huit heures. Pour sauver Heydrich, il faudrait quelque chose que
le Reich ne possède nulle part sur tout son immense territoire : de la
pénicilline. Et ce n’est pas l’Angleterre qui va leur en fournir.
234
Le 3 juin, l’émetteur
Libuše reçoit ce message de félicitation, adressé à Anthropoïde :
« De la part du président.
Je suis très heureux que vous soyez parvenu à maintenir le contact. Je vous
remercie sincèrement. Je constate votre absolue détermination, et celle de vos
amis. Cela me prouve que la nation entière fait bloc. Je peux vous assurer que
cela portera ses fruits. Les événements de Prague ont un grand impact ici et
font beaucoup pour la reconnaissance de la résistance du peuple tchèque. »
Mais Beneš ne sait pas que le
meilleur est à venir. Et aussi le pire.
235
Anna Maruščáková est une
jeune et jolie ouvrière qui s’est fait porter pâle aujourd’hui à son travail.
Aussi, lorsque avec le courrier de l’après-midi on apporte une lettre qui lui
est adressée, le directeur de l’usine, sans se gêner, l’ouvre et la lit. Elle provient
d’un jeune homme et voici ce qu’elle dit :
Chère
Ania,
Excuse-moi
de t’écrire avec autant de retard, mais j’espère que tu comprendras, car tu
sais que j’ai beaucoup de soucis. Ce que je voulais faire, je l’ai fait. Lors
du jour fatal, j’ai dormi à Čabárna. Je vais bien, je viendrai te voir
cette semaine, et ensuite nous ne nous reverrons plus jamais.
Milan
Le patron de l’usine est un
sympathisant nazi, ou bien même pas, juste un individu habité par cette
mentalité ignoble qui sévit toujours un peu partout et s’exprime si bien dans
les pays occupés. Il décide qu’il y a peut-être quelque chose de louche et
transmet la lettre à qui de droit. À la Gestapo, l’enquête piétine tellement
que l’on cherche un os à ronger. On traite le dossier avec une diligence
d’autant plus grande qu’après plus de trois mille arrestations, on n’a toujours
rien de sérieux, et on découvre très vite qu’il s’agit d’une affaire de
cœur : l’auteur de la lettre est un jeune homme marié – sans
doute souhaite-t-il mettre un terme à une relation extra-conjugale. Les détails
de l’histoire ne sont pas très clairs, mais il est vrai que certaines phrases
de la lettre peuvent prêter à équivoque – peut-être même ce jeune
homme voulait-il suggérer à demi-mot un engagement imaginaire dans la Résistance,
afin d’impressionner sa maîtresse, ou bien cherchait-il simplement à créer un
climat de mystère pour rompre sans avoir à se justifier. Toujours est-il qu’il
n’a rien à voir, de près ou de loin, avec Gabčík, Kubiš et leurs amis. Ils
n’ont jamais entendu parler de lui, et il n’a jamais entendu parler
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