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sont enfermés dans l’école. Les hommes sont conduits
dans un corps de ferme et entassés dans une cave. Débute alors l’attente
interminable, et l’angoisse absolue qui dévore les visages. À l’intérieur de
l’école, les enfants pleurent. Dehors, les Allemands se déchaînent. Ils pillent
et saccagent, consciencieusement et frénétiquement, chacune des
quatre-vingt-seize maisons, et tous les édifices publics, église comprise. Les
livres et les tableaux, jugés inutiles, sont jetés par les fenêtres, entassés sur
la place et brûlés. Pour le reste, ils récupèrent des radios, des vélos, des
machines à coudre… Ce travail leur prend plusieurs heures, au terme desquelles
Lidice est transformé en champ de ruines.
À 5 heures du matin, ils
reviennent les chercher. Les habitants découvrent le spectacle de leur village
mis sens dessus dessous et les policiers qui continuent à courir partout en
criant et en emportant tout ce qu’ils peuvent. Les femmes et les enfants sont
embarqués dans des camions qui prennent la direction de Kladno, la ville
voisine. Pour les femmes, c’est une étape avant Ravensbrück. Les enfants seront
séparés de leur mère et gazés à Chelmno, exception faite d’une poignée d’entre
eux jugés aptes à la germanisation, qui seront adoptés par des familles allemandes.
Les hommes sont rassemblés devant un mur sur lequel on a disposé des matelas.
Le plus jeune a 15 ans, le plus vieux 84. On en aligne cinq, et on les
fusille. Puis cinq autres, et ainsi de suite. Les matelas servent à éviter que
les balles ne ricochent. Mais les hommes de la Schupo n’ont pas l’expérience
des Einsatzgruppen. Avec les pauses, le ramassage des corps, la reformation du
peloton, ça n’en finit pas, les heures passent, pendant lesquelles chacun
attend son tour. Pour aller plus vite, on décide de doubler la cadence, et on
les abat dix par dix. Le maire de la ville, chargé d’identifier les habitants
un par un avant leur exécution, fait partie de la dernière série. Grâce à lui,
les Allemands épargnent neuf hommes qui ne sont pas du village, mais simplement
en visite chez des amis et piégés par le couvre-feu ou invités par de la
famille et hébergés pour la nuit. Ils seront quand même exécutés à Prague.
Lorsque dix-neuf travailleurs rentrent de leur service de nuit, ils trouvent
leur village ravagé, leur famille disparue, les cadavres de leurs amis encore
chauds. Et comme les Allemands sont encore là, ils sont, eux aussi,
immédiatement fusillés. Même les chiens sont abattus.
Mais ce n’est pas fini. Hitler
a décidé que Lidice servirait de défouloir cathartique et symbolique à sa rage
de vengeance. La frustration engendrée par l’incapacité du Reich à trouver et
punir les assassins d’Heydrich provoque une hystérie systémique au-delà de
toute mesure. L’ordre est de rayer Lidice de la carte, littéralement. Le
cimetière est profané, les vergers sont retournés, tous les bâtiments sont
incendiés et on jette du sel sur la terre pour être sûr que rien ne repousse.
Le village n’est plus qu’un brasier infernal. Des bulldozers sont en route pour
raser les ruines. Il ne doit rester aucune trace, pas même de l’emplacement du
village.
Hitler veut montrer ce qu’il en
coûte de défier le Reich, et Lidice lui sert de victime expiatoire. Mais il
vient de commettre une grave erreur. Ayant depuis longtemps perdu le sens de toute
mesure, ni Hitler ni aucun membre de l’appareil nazi n’a réalisé quel
retentissement mondial va provoquer la publicité donnée volontairement à la
destruction de Lidice. Jusque-là, les nazis, s’ils ne cherchaient qu’avec
mollesse à dissimuler leurs crimes, appliquaient tout de même une discrétion de
façade qui permettait à certains, s’ils le désiraient, de se voiler la face
quant à la nature profonde du régime. Avec Lidice, le masque de l’Allemagne
nazie tombe pour le monde entier. Dans les jours qui suivent, Hitler va
comprendre. Pour une fois, ce ne sont pas ses SS qui vont se déchaîner, mais
une entité dont il n’appréhende sans doute pas tout le pouvoir : l’opinion
mondiale. Les journaux soviétiques déclarent que, désormais, les gens se
battront avec aux lèvres le nom de Lidice. Et ils ont raison. En Angleterre,
les mineurs de Birmingham lancent une quête en faveur de la reconstruction
future du village, et trouvent un slogan qui va faire le tour du monde :
« Lidice
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