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HHhH

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Titel: HHhH Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Binet
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Mais il me semble tout à fait abusif de parler d’espace vital allemand
à propos de la Bohême.
    C’est encore Henri l’Oiseleur,
icône nazie, idole d’Himmler, qui inaugura le Drang nach Osten , la ruée
vers l’est dont se réclamera Hitler pour légitimer ses prétentions à envahir
l’Union soviétique. Mais Henri l’Oiseleur n’a jamais cherché à envahir ni à
coloniser la Bohême. Il s’est juste contenté de lui réclamer un tribut annuel.
Par la suite, d’ailleurs, il n’y a, à ma connaissance, jamais eu de
colonisation allemande imposée de force en Bohême-Moravie. L’afflux de colons allemands
au XIV e  siècle répondait à la demande du souverain tchèque, qui
cherchait de la main-d’œuvre qualifiée. Enfin personne, jusqu’alors, n’avait
encore songé à vider la Bohême-Moravie de ses habitants tchèques. On peut donc
dire qu’en termes de projet politique, les nazis, une fois de plus, vont
innover. Et Heydrich, bien sûr, sera dans le coup.
88
    À quoi juge-t-on qu’un
personnage est le personnage principal d’une histoire ? Au nombre de pages
qui lui sont consacrées ? C’est, je l’espère, un peu plus compliqué.
    Lorsque je parle du livre que
je suis en train d’écrire, je dis : « mon bouquin sur
Heydrich ». Pourtant Heydrich n’est pas censé être le personnage principal
de cette histoire. Depuis des années que je porte ce livre en moi, je n’ai
jamais pensé à l’intituler autrement qu’ Opération Anthropoïde (et si
jamais ce n’est pas le titre que vous pouvez lire sur la couverture, vous
saurez que j’ai cédé à l’éditeur qui ne l’aimait pas : trop SF, trop
Robert Ludlum, paraît-il…). Or, Heydrich est la cible, et non l’acteur de
l’opération. Tout ce que je raconte sur lui revient à poser le décor, en
quelque sorte. Mais il faut bien reconnaître que, d’un point de vue littéraire,
Heydrich est un beau personnage. C’est comme si un docteur Frankenstein
romancier avait accouché d’une créature terrifiante à partir des plus grands
monstres de la littérature. Sauf qu’Heydrich n’est pas un monstre de papier.
    Je sens bien que mes deux héros
tardent à entrer en scène. Mais s’ils se font attendre, peut-être que ce n’est
pas plus mal. Peut-être qu’ils n’en auront que plus de corps. Peut-être la
marque qu’ils ont laissée dans l’Histoire et dans ma mémoire pourra-t-elle
s’imprimer d’autant plus profondément dans mes pages. Peut-être que cette
longue station dans l’antichambre de mon cerveau leur restituera un peu de leur
réalité, et pas seulement de la vulgaire vraisemblance. Peut-être, peut-être…
mais rien n’est moins sûr ! Heydrich ne m’impressionne déjà plus. Ce sont
eux qui m’intimident.
    Et pourtant, je les vois. Ou
disons que je commence à les apercevoir.
89
    Aux confins de la Slovaquie
orientale, il y a cette ville que je connais bien, Košice (prononcez
« Kochitsé »). C’est dans cette ville que j’ai fait mon service
militaire : j’étais le sous-lieutenant français chargé d’apprendre ma
langue natale à de jeunes futurs officiers de l’armée de l’air slovaque. C’est
la ville d’où est originaire Aurélia, la belle jeune femme avec qui j’ai
entretenu cinq ans de passion ardente, voilà déjà bientôt dix ans. C’est
accessoirement la ville au monde où j’ai vu la plus grande concentration de
jolies filles, et quand je dis jolies, je veux dire d’une exceptionnelle
beauté.
    Je ne vois pas de raison pour
que cet état de fait ait été différent en 1939. Les jolies filles déambulent de
toute éternité sur Hlavna ulica, la très longue rue principale qui constitue le
cœur de la ville, bordée de splendides demeures baroques aux couleurs pastel,
et rivée en son centre par une merveille de cathédrale gothique. Sauf qu’en
1939, on rencontre aussi des uniformes allemands qui saluent discrètement au
passage des jeunes filles. La Slovaquie a certes gagné son indépendance, pour
prix de sa trahison envers Prague, mais elle se voit imposer l’amicale et
envahissante tutelle de l’Allemagne.
    Jozef Gabčík, quand il
remonte cette gigantesque artère, voit forcément tout ça : les jolies
filles, et les uniformes allemands. Et il réfléchit, ce petit homme, depuis
plusieurs mois, maintenant.
    Voici deux ans qu’il a quitté
Košice pour aller travailler à Žilina, dans une usine de produits chimiques. Il
y revient aujourd’hui pour

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