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sera carrément une division entière qui combattra aux côtés de
l’armée française pendant la drôle de guerre. Je pourrais faire une note assez
longue sur l’intégration des forces tchèques libres dans l’armée française, ses
11 000 soldats, composés de 3 000 volontaires et de 8 000
Tchèques expatriés mobilisés d’office, ainsi que ses valeureux pilotes,
entraînés à Chartres, qui abattront ou contribueront à abattre plus de 130
avions ennemis pendant la bataille de France… En même temps, j’ai dit que je ne
voulais pas faire un manuel d’histoire. Cette histoire-là, j’en fais une
affaire personnelle. C’est pourquoi mes visions se mélangent quelquefois aux
faits avérés. Voilà, c’est comme ça.
92
Enfin non, ce n’est pas comme
ça, ce serait trop simple. En relisant l’un des livres qui constituent le socle
de ma documentation, un recueil de témoignages sobrement rassemblés par un
historien tchèque, Miroslav Ivanov, sous le titre L’Attentat contre
Heydrich, publié dans la vieille collection verte « Ce jour-là »
(celle où l’on trouve aussi Le Jour le plus long et Paris brûle-t-il ? ),
je m’aperçois avec horreur de mes erreurs concernant Gabčík.
Le 1 er mai
1939, lorsque celui-ci quitte la Slovaquie pour passer en Pologne, il a été
transféré depuis presque deux ans dans une usine aux alentours de Trenčin,
et ne vit donc vraisemblablement plus à Žilina. Le passage où je raconte son
dernier coup d’œil aux tours du château de sa ville natale me semble soudain
ridicule. En fait, il n’a jamais quitté l’armée et c’est en tant que
sous-officier qu’il travaille dans cette usine de produits chimiques dont la
production est destinée à des fins militaires. Or, j’ai oublié de mentionner
qu’il n’a pas quitté son poste sans accomplir un acte de sabotage : il a
versé de l’acide dans de l’ypérite, ce qui semble avoir causé tort, comment je
n’en ai aucune idée, à l’armée allemande. Oubli grave ! D’abord, je spolie
Gabčík d’un premier acte de résistance, certes mineur, mais déjà
courageux. Ensuite, j’omets un maillon dans la grande chaîne causale des
destinées humaines : Gabčík lui-même explique, dans une notice
biographique qu’il a rédigée en Angleterre afin de se porter candidat pour des
missions spéciales, qu’il a quitté le pays suite à cet acte de sabotage, pour
lequel il allait immanquablement se faire arrêter, s’il restait.
En revanche, il est bien passé
par Cracovie, comme je l’avais supposé. Après s’être battu aux côtés des
Polonais, lors de l’attaque allemande qui a déclenché la Seconde Guerre
mondiale, il s’est peut-être enfui par les Balkans, comme un grand nombre de
Tchèques et Slovaques qui ont gagné la France, traversant la Roumanie, la
Grèce, puis rejoignant Istanbul, l’Egypte, et enfin Marseille. Ou peut-être
est-il plus simplement passé par la Baltique, ce qui semblerait plus pratique,
partant du port de Gdynia pour arriver à Boulogne-sur-mer, avant de rejoindre
le Sud. Quoi qu’il en soit, je suis sûr que ce périple est une épopée qui
mériterait un livre entier. Le point d’orgue, pour moi, en serait la rencontre
avec Kubiš. Où et quand se sont-ils rencontrés ? En Pologne ? En
France ? Pendant le voyage entre les deux ? Plus tard, en
Angleterre ? C’est ce que j’aimerais savoir. Je ne sais pas encore si je
vais « visualiser » (c’est-à-dire inventer !) cette rencontre,
ou non. Si je le fais, ce sera la preuve définitive que, décidément, la fiction
ne respecte rien.
93
Un train entre en gare. Dans le
vaste hall de Victoria Station, le colonel Moravec, en compagnie de quelques
autres compatriotes en exil, attend sur le quai. Un petit homme sérieux, à
moustaches, le front dégarni, descend du train. C’est Beneš, l’ancien président
qui a démissionné au lendemain de Munich. Mais aujourd’hui, 18 juillet
1939, date de son arrivée à Londres, c’est surtout l’homme qui a proclamé, au
lendemain du 15 mars, que la Première République tchécoslovaque existait
encore, malgré l’agression dont elle était victime. Les divisions allemandes,
a-t-il dit, ont balayé les concessions arrachées à Prague par ses ennemis et
par ses alliés au nom de la paix, de la justice, du bon sens, des douces
raisons invoquées lors de la crise de 1938. Maintenant, le territoire
tchécoslovaque est occupé. Mais la République,
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