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téléphone et appellent Ostrava. Là-bas, personne n’a
entendu parler d’un hôtelier du nom de Šolc. Alors la Gestapo de Pardubice
reconvoque le patron du Vaselka, et Šolc avec lui. Le patron vient seul. Il
explique qu’il a renvoyé son serveur parce que celui-ci a cassé de la
vaisselle. La Gestapo le relâche, et le fait suivre. Mais Mirek Šolc a disparu
pour toujours.
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Tous les parachutistes ayant
opéré dans le Protectorat auront utilisé un nombre incalculable de fausses
identités. Miroslav Šolc était l’une d’elles. C’est à celui qui en a fait usage
qu’il faut accorder maintenant toute l’attention que mérite son rôle à venir
dans l’histoire. Son vrai nom est Josef Valičík, et contrairement à Mirek
Šolc, c’est un nom qu’il va falloir retenir. Valičík est donc ce beau
jeune homme de 27 ans qui officiait comme serveur à Pardubice. Maintenant,
il est en cavale, et tente de gagner la Moravie, pour se mettre au vert chez
ses parents, car Valičík est morave, comme Kubiš, mais ce n’est pas, à
vrai dire, leur point commun le plus significatif. Le sergent Valičík, en
effet, était dans l’Halifax qui a parachuté Gabčík et Kubiš dans la nuit
du 28 décembre, mais lui appartenait à un autre groupe, nom de code
« Silver A », dont la tâche consistait à être largué avec un
émetteur, nom de code « Libuše », pour renouer le contact entre Londres
et A54, le super-espion allemand aux informations inestimables, par
l’intermédiaire de Morávek (avec un k ), le dernier des trois lions, le
chef de réseau au doigt sectionné.
Evidemment, rien n’a vraiment
marché comme prévu. Valičík, lors du parachutage, a été séparé de ses
coéquipiers, et a connu les pires difficultés pour récupérer l’émetteur :
après avoir essayé de le transporter sur une luge, il a fini par rallier
Pardubice en taxi, où des agents locaux lui ont trouvé cet emploi de serveur, excellente
couverture, et la fréquentation du lieu par les Allemands a flatté son sens de
l’ironie.
Maintenant, sa belle couverture
est brûlée et c’est dommage. Mais en un sens, elle l’oblige à gagner Prague, où
l’attendent d’autres parachutistes et son destin.
Si mon histoire était un roman,
je n’aurais absolument pas besoin de ce personnage. Au contraire, il
m’encombrerait plutôt qu’autre chose, doublonnant avec les deux héros, d’autant
qu’il va se révéler aussi gai, optimiste, courageux et sympathique que le sont
Gabčík et Kubiš. Mais ce n’est pas à moi de décider de quoi l’opération
« Anthropoïde » a besoin. Et l’opération « Anthropoïde » va
avoir besoin d’un guetteur.
177
Les deux hommes se connaissent,
ils sont amis depuis l’Angleterre, où ils ont partagé la même préparation avec
les forces spéciales du SOE, et depuis la France peut-être, où ils ont pu se
rencontrer dans la Légion étrangère ainsi que dans l’une des divisions de
l’armée de libération tchécoslovaque, en combattant aux côtés des Français. Ils
portent tous les deux le même prénom. Pourtant, lorsqu’ils se serrent
énergiquement la main, avec une joie non dissimulée, ils se présentent :
— Bonjour, je suis Zdenek.
— Bonjour, moi aussi, je
suis Zdenek !
Ils sourient de la coïncidence.
Jozef Gabčík et Josef Valičík se sont vu attribuer le même faux
prénom par Londres. Si j’étais paranoïaque et égocentrique, je croirais que
Londres l’a fait exprès pour ajouter à la confusion de mon récit. De toute
façon, cela n’a aucune importance, puisqu’ils utilisent tous les deux un nom
différent quasiment pour chaque interlocuteur. Je me suis déjà un peu moqué de
la légèreté avec laquelle Gabčík et Kubiš parlaient parfois ouvertement de
leur mission, mais ils savaient être rigoureux quand il le fallait, et ils
devaient être très professionnels pour s’y retrouver, pour se souvenir quelle
identité adopter avec quel interlocuteur.
Entre parachutistes, c’est
différent, bien sûr, et si Valičík et Gabčík se présentent comme s’ils
se rencontraient pour la première fois, c’est uniquement pour que chacun sache
comment l’autre se fait appeler, ou plutôt, puisque c’est variable, quel prénom
est mentionné sur le jeu de faux papiers qu’il utilise en ce moment.
— Tu loges chez la
tante ?
— Oui, mais je bouge
bientôt. Où est-ce que je peux te joindre ?
— Laisse un message au
concierge,
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