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jours-ci, accueille et cache le parachutiste. De
temps à autre, on entend le parquet grincer dans le couloir, sur le palier, ou
chez un voisin. Gabčík est aux aguets, comme toujours, mais calme. Ses
yeux fixés au plafond dessinent mentalement des cartes d’Europe. Sur l’une
d’entre elles, la Tchécoslovaquie a retrouvé sa place et ses frontières. Sur
une autre, la peste brune a franchi la Manche pour accrocher la Grande-Bretagne
à l’une des branches de sa croix gammée. Gabčík, pourtant, tout comme
Kubiš, répète à qui veut l’entendre que la guerre sera terminée dans moins d’un
an, et sans doute le croient-ils. Et pas comme les Allemands l’espèrent,
évidemment. Déclarer la guerre à l’URSS, erreur fatale du grand Reich. Déclarer
la guerre aux Etats-Unis, pour honorer son alliance avec le Japon, deuxième
erreur. Il est assez ironique que si la France a été vaincue en 1940 pour
n’avoir pas honoré ses engagements envers la Tchécoslovaquie en 1938, ce soit
maintenant l’Allemagne qui s’apprête à perdre la guerre parce qu’elle aura
honoré les siens envers le Japon. Mais un an ! C’est, rétrospectivement,
faire preuve d’un optimisme touchant.
Je suis certain que ces
considérations géopolitiques occupent l’esprit de Gabčík et de ses amis,
les entraînant dans des discussions sans fin, la nuit, quand ils ne parviennent
pas à trouver le sommeil, quand ils peuvent toutefois se détendre un peu en bavardant,
à condition d’oublier l’éventualité d’une visite nocturne de la Gestapo, de
cesser d’être attentif au moindre bruit dans la rue, l’escalier, la maison, de
ne pas entendre dans leur tête des coups de sonnette imaginaires mais tout
aussi bien de guetter les coups de sonnette réels.
C’est une autre époque celle
où, chaque jour, les gens attendent avec impatience, non pas des résultats
sportifs, mais des nouvelles du front russe.
Cependant le front russe n’est
pas la préoccupation première de Gabčík. La chose la plus importante de la
guerre, aujourd’hui, c’est sa mission. Combien sont-ils à le croire ?
Gabčík et Kubiš en sont persuadés. Valičík, le beau gosse parachutiste
qui va les aider, aussi. Le colonel Moravec, chef des services secrets tchèques
à Londres. Le président Beneš, pour l’instant. Et moi. C’est tout, je crois.
L’objectif d’Anthropoïde n’est connu de toute façon que d’une poignée d’hommes.
Mais même parmi eux, certains le désapprouvent.
C’est le cas des officiers
parachutistes en activité à Prague, et aussi des chefs de la Résistance
intérieure (ou ce qu’il en reste) parce qu’ils redoutent les représailles en
cas de succès. Gabčík, il y a peu, a eu une scène pénible avec eux. Ils
voulaient le convaincre de renoncer à sa mission ou au moins de changer de
cible, de prendre plutôt un éminent Tchèque collabo, Emanuel Moravec par
exemple, à la place d’Heydrich. Cette crainte de l’Allemand ! Il est comme
un maître qui bat son chien : le chien peut parfois refuser d’obéir à son
maître mais jamais il ne parvient à se retourner contre lui.
Le lieutenant Bartoš, parachuté
de Londres pour remplir d’autres missions de résistance, a voulu donner l’ordre
d’annuler l’opération. C’est le plus haut gradé parmi les parachutistes à
Prague. Mais ici les grades ne signifient rien. L’équipe d’Anthropoïde,
composée des seuls Gabčík et Kubiš, a reçu ses instructions à Londres, du
président Beneš en personne. Elle n’a plus d’ordre à recevoir de qui que ce
soit. Elle n’a qu’à mener sa mission à bien, c’est tout. Gabčík et Kubiš
sont des hommes, et tous ceux qui les ont côtoyés ont souligné leurs qualités
humaines, leur générosité, leur bonne humeur, leur dévouement. Mais Anthropoïde
est une machine.
Bartoš a fait demander à
Londres de stopper Anthropoïde. En réponse, il a reçu un message codé
indéchiffrable, sauf par Gabčík et Kubiš. Gabčík, allongé sur son
petit lit de fer, tient le texte à la main. Personne n’a jamais retrouvé ce
document qui a écrit l’Histoire. Mais en quelques lignes cryptées le destin a
choisi sa route : l’objectif reste inchangé. La mission d’Anthropoïde est
confirmée. Heydrich va mourir. Dehors, un tramway s’éloigne dans un grincement
métallique.
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Le Standartenführer SS Paul
Blobel, en charge du Sonderkommando 4a de l’Einsatzgruppe C, celui
qui avec tant de
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