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HHhH

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Titel: HHhH Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Binet
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zèle s’est acquitté de sa tâche à Babi Yar, en Ukraine, est en
train de devenir fou. Lorsque, dans la nuit de Kiev, il repasse en voiture
devant le lieu de ses crimes et qu’il contemple à la lumière des phares le
spectacle hallucinant offert par le ravin maudit, il est comme Macbeth qui voit
les fantômes de ses victimes. Il faut dire que les morts de Babi Yar ne se
laissent pas facilement oublier, car la terre qui a servi à les ensevelir,
elle, est vivante. Elle fume, des mottes sautent comme des bouchons de
champagne, tandis que des bulles, produites par les gaz des corps en
décomposition, s’échappent du sol. L’odeur est horrible. Blobel, agité d’un
rire dément, explique à ses visiteurs : « Voici où reposent mes
trente mille Juifs ! » Et il fait un geste ample qui embrasse tout le
ravin, cet immense ventre gargouillant.
    Si ça continue, les morts de
Babi Yar auront sa peau. Au bout du rouleau, il fait le voyage jusqu’à Berlin
pour demander à Heydrich en personne de le muter ailleurs. Le chef du RSHA
l’accueille comme il se doit : « Alors comme ça, vous avez mal au
ventre. Vous êtes un mou. Vous êtes devenu pédé. On ne peut plus vous envoyer
que dans des magasins de porcelaine. Mais je vais vous enfoncer le nez bien au
fond, moi ! » Je ne sais pas s’il s’agit en allemand d’une expression
idiomatique. Quoi qu’il en soit, Heydrich ne tarde pas à retrouver son calme.
L’homme qu’il a en face de lui est une loque imbibée, il est devenu incapable
d’assurer plus longtemps la tâche qui lui a été confiée. Il serait inutile et
dangereux de le maintenir dans ses fonctions contre son gré. « Vous vous
présenterez chez le Gruppenführer Müller, vous lui direz que vous voulez des
vacances, il vous retirera votre commandement de Kiev. »
188
    Le quartier ouvrier de Žižkov,
situé dans l’est de Prague, passe pour posséder la plus forte concentration de
bars de toute la ville. Il comporte également beaucoup d’églises, comme il se
doit dans une capitale que l’on surnomme « la ville aux cent
clochers ». Dans l’une d’elles, un prêtre se souvient qu’un jeune couple,
« lorsque les tulipes étaient en fleur », était venu à sa rencontre.
L’homme était de petite taille, il avait le regard perçant et les lèvres fines.
La jeune fille était charmante, elle respirait la joie de vivre, je le sais.
Ils avaient l’air de s’aimer. Ils voulaient se marier, mais pas tout de suite.
Ils souhaitaient réserver une date précise, mais aléatoire : « quinze
jours après la guerre ».
189
    Je me demande bien comment
Jonathan Littell sait que Blobel, le responsable alcoolique du
Sonderkommando 4a de l’Einsatzgruppe C, en Ukraine, avait une Opel.
Si Blobel roulait vraiment en Opel, je m’incline. J’avoue que sa documentation
est supérieure à la mienne. Mais si c’est du bluff, cela fragilise toute
l’œuvre. Parfaitement ! Il est vrai que les nazis se fournissaient
massivement chez Opel, il est donc tout à fait vraisemblable que Blobel
ait possédé, ou disposé, d’un véhicule de cette marque. Mais vraisemblable n’est pas avéré . Je radote, n’est-ce pas ? Les gens à qui je dis ça
me prennent pour un maniaque. Ils ne voient pas le problème.
190
    Valičík et Ata, le jeune
fils Moravec, viennent d’échapper miraculeusement à un contrôle de police qui
s’est soldé par la mort de deux parachutistes. Ils ont trouvé asile chez le
concierge de l’immeuble des Moravec, à qui ils racontent leur mésaventure. Je
pourrais moi aussi la raconter, mais je me dis qu’une scène de roman
d’espionnage de plus, à quoi bon ? Les romans modernes marchent à
l’économie, c’est comme ça, et le mien ne saurait échapper continuellement à
cette logique mesquine. Il suffit que l’on sache que c’est grâce au sang-froid
de Valičík et à sa parfaite appréciation de la situation que les deux
hommes n’ont pas été arrêtés, et ne sont pas morts.
    Valičík, profitant de la
forte impression que cette aventure et lui-même ont produite sur l’adolescent,
lui dit ceci, à toutes fins utiles :
    — Vois-tu cette caisse en
bois, Ata ? Les Boches pourraient la battre jusqu’à ce qu’elle commence à
parler. Mais toi, dans un cas pareil, tu ne dois rien dire, rien, tu
comprends ?
    Cela, par contre, n’est pas une
réplique inutile dans l’économie narrative de cette histoire.
191
    Evidemment, on se sera douté
que la

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