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de Gabčík,
Kubiš et Valičík, cependant, il n’est pas envoyé sur le front pendant la
retraite française. Mais ce n’est pas ce qui le distingue fondamentalement des
autres parachutistes. En Angleterre, il se porte volontaire pour des missions
spéciales et suit le même entraînement intensif. Il est parachuté sur le
Protectorat avec deux autres équipiers dans la nuit du 27 au 28 mars 1942.
La suite, il est encore trop tôt pour la raconter.
Mais c’est dès l’Angleterre que
le drame se met en place, car c’est là qu’il aurait dû être évité : c’est
là que progressivement se révèle le caractère douteux de Karel Čurda.
Celui-ci boit beaucoup, et naturellement, ce n’est pas un crime. Mais lorsqu’il
a trop bu, il tient des propos qui effarent ses camarades de régiment. Il dit
qu’il admire Hitler. Il dit qu’il regrette d’avoir quitté le Protectorat, qu’il
vivrait beaucoup mieux à l’heure qu’il est s’il y était resté. Ses camarades
lui font si peu confiance, le trouvent si peu fiable, qu’ils écrivent une
lettre pour signaler son comportement et ses propos au général Ingr, ministre
de la Défense du gouvernement tchèque en exil. Ils ajoutent qu’il a également
tenté des escroqueries au mariage dans deux familles anglaises. Heydrich, en
son temps, s’était fait chasser de l’armée pour moins que ça. Le ministre
transmet les informations au colonel Moravec, chef des services secrets et
responsable des opérations spéciales. Et c’est précisément là que le sort de
beaucoup d’hommes se scelle. Que fait Moravec ? Rien. Il se serait
contenté de noter dans le dossier de Čurda que l’homme est un bon sportif
aux capacités physiques certaines. En tout cas, il ne l’écarte pas de la
sélection des parachutistes pour les missions spéciales. Et dans la nuit du 27
au 28 mars 1942, Čurda, avec deux autres équipiers, est largué
au-dessus de la Moravie. Aidé par la Résistance locale, il parvient à rejoindre
Prague.
Après la guerre, quelqu’un fera
ce constat : parmi les quelques dizaines de parachutistes sélectionnés
pour être envoyés en mission dans le Protectorat, la quasi-totalité s’était
déclarée motivée par un sentiment patriotique. Deux seulement, dont Čurda,
avaient déclaré s’être portés volontaires par goût de l’aventure, et ces
deux-là ont trahi.
Mais la trahison de l’autre,
par sa portée, n’aura aucune commune mesure avec celle de Karel Čurda.
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La gare de Prague est un
magnifique édifice de pierre sombre, orné de tours parfaitement inquiétantes,
qui ressemble à un décor d’Enki Bilal. Aujourd’hui, 20 avril 1942, jour
anniversaire du Führer, le président Hácha, au nom du peuple tchèque, fait un
cadeau à Hitler : il lui offre un train médical. Par la force des choses,
la cérémonie officielle, dont le point d’orgue est la visite du train par
Heydrich en personne, a lieu dans la gare. Pendant qu’Heydrich visite le train,
une foule de badauds est rassemblée à l’extérieur, à l’endroit même où l’on
peut lire sur un panneau blanc planté dans la terre : « Ici se
dressait le mémorial de Wilson, enlevé sur l’ordre du Reich-Protektor,
SS-Obergruppenführer Heydrich. » Je voudrais bien dire que dans la foule
se trouvent Gabčík ou Kubiš, mais je n’en sais rien, et j’en doute.
Apercevoir Heydrich dans ces conditions n’a aucun intérêt pratique pour eux,
puisqu’il s’agit d’un événement ponctuel, qui n’est pas amené à se reproduire,
et comme l’endroit est évidemment lourdement gardé pour l’occasion, leur
présence les exposerait à des risques inutiles.
Par contre, je suis presque sûr
que la blague qui s’est immédiatement répandue dans toute la ville est partie
d’ici. J’imagine que quelqu’un, dans la foule, sans doute un vieux Tchèque
garant de l’esprit tchèque, a dit à haute voix, pour que ses voisins
l’entendent : « Pauvre Hitler ! Il doit être bien malade, s’il a
besoin de tout un train pour se faire soigner… » Du pur soldat Chvéïk.
186
Josef Gabčík, allongé sur
son petit lit de fer, écoute au-dehors le grelot du tramway qui remonte vers
Karlovo náměstí, la place Charles. Tout près d’ici, la rue Resslova, qui
descend vers le fleuve, ignore encore de quelle tragédie elle sera bientôt le
théâtre. Quelques traits de lumière se fraient un passage à travers les volets
clos de l’appartement qui, ces
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