Hiéroglyphes
Astiza.
Elle était assise à côté de lui, pas de
moi.
« Elle
ne m’a même pas pardonné ! »
dis-je.
C’était
un mensonge, mais il ne pouvait pas le savoir.
« Je
pardonnerai si vous nous aidez, Ethan, dit-elle. Nous avons besoin de
vous pour capter la foudre. Nous avons besoin de vous pour
apprivoiser le feu du ciel, comme votre Benjamin Franklin. »
18
L ’accès
à la Cité des Fantômes était une simple
fente dans un canyon de pierre siliceuse, étroite et rose
comme le sexe d’une vierge. Le passage exigu n’était
pas plus large, à sa base, qu’une pièce
d’habitation, le ciel une ligne bleue, loin au-dessus de nos
têtes. Les parois s’élevaient, toutes droites, sur
près de deux cents mètres, avec de nombreuses saillies
qui les rapprochaient par endroits, comme sous l’effet d’un
tremblement de terre. Le silence était total tandis que nous
avancions, chargés de nos sacs, dans le couloir ténébreux.
Si la roche peut être érotique, ce corridor rose et bleu
était une galerie de chair sculptée par le
ruissellement des eaux, aux formes sensuelles aussi agréables
à regarder que celles de la favorite du sultan. Les parois
étaient formées de couches blanches, roses et bleu
lavande. Ici, la roche ondulait comme un sirop figé, là,
c’était une corniche couleur de corail, ailleurs, un
rideau de dentelle. Le tout d’une infinie diversité.
Sous
nos pieds, le sol descendait en pente douce vers notre destination,
telle une voie privée conduisant à un rêve de
poète. Et la nature n’avait pas été la
seule ouvrière. Lorsque j’y regardai de plus près,
je constatai que ce couloir avait été façonné
jadis par les caravaniers, car un conduit régulier courait le
long d’une des parois et le calcaire déposé au
cours des siècles démontrait que cette rigole avait été
un aqueduc chargé d’abreuver la cité antique.
Nous
parvînmes en vue d’une arche romane qui marquait l’autre
extrémité du canyon, et nous longeâmes les niches
creusées dans les deux parois qui abritaient des dieux et des
sculptures géométriques. De grands chameaux de pierre,
deux fois la taille des vrais, nous accompagnaient en bas-reliefs,
étrange caravane pétrifiée qui préparait
un autre spectacle dont la splendeur minérale nous coupa le
souffle.
« Voyez !
triompha Silano. Tout est possible quand on rêve… »
Oui,
le livre devait se trouver ici.
*
* *
La
route à parcourir, depuis le mont Nébo, nous avait pris
plusieurs jours. Nous avions suivi les crêtes jordaniennes et
longé les ruines d’autres châteaux de croisés
érigés par les Templiers. De loin en loin, on
franchissait les cols qui perçaient les déserts jaunis
de l’ouest. De petits cours d’eau les avaient sillonnés,
naguère, aujourd’hui absorbés par la sécheresse.
Puis on repiquait vers le sud, sous le vol des vautours et l’œil
attentif des Bédouins qui nous observaient à distance
respectueuse, en poussant leurs troupeaux de chèvres dans les
lits asséchés des rivières disparues. Le siège
d’Acre me paraissait infiniment lointain. À l’autre
bout du monde.
J’avais
tout le temps de réfléchir au poème en latin de
Silano. Quels mots avaient vaguement titillé ma mémoire,
sinon « fleur » et « coquille
d’escargot » ? Cette même imagerie, mon
ami Edme François Jomard, éminent savant français,
l’avait employée alors qu’on escaladait le Grande
Pyramide. Il affirmait que les dimensions de cette pyramide
correspondaient à un code numérique ou « nombre
d’or » égal à 1,618, représentation
géométrique d’une suite de chiffres connue sous
le nom de « séquence de Fibonacci ».
Cette progression mathématique pouvait se concrétiser
sous la forme d’une suite de carrés interconnectés
de surface croissante. La réunion par un trait continu des
coins de ces carrés produisait une spirale conforme à
celle d’une coquille d’escargot ou, selon Jomard, de la
répartition des pétales d’une fleur. Mon autre
excellent ami Talma avait estimé cette explication quelque peu
confuse, mais j’étais intrigué. Les pyramides
représentaient-elles vraiment quelque vérité
fondamentale de l’Univers ? Et quel rapport avec nos
activités présentes ?
J’essayai
de raisonner comme Jomard et Monge, les mathématiciens :
« Ainsi surgissent finalement en pleine lumière
certaines vérités qui avaient toujours été
là, mais que notre esprit n’avait pas
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