Hiéroglyphes
temps
ordinaire, le soleil d’Égypte tape très fort. Je
me souvenais trop bien de la fuite à travers le désert
qui nous avait réunis, Ashraf et moi, moins d’un an
auparavant. Mais on était à cheval et mon ami mamelouk
savait comment trouver de l’eau.
La
température du sable montait très vite. Chaque
centimètre de peau commençait à me démanger,
et pas moyen de se gratter. Quelque chose me piquait, me rongeait
comme autant de morsures, sans que je puisse discerner si ces
piqûres, ces morsures, étaient réelles ou
seulement un effet de la chaleur. Chaque cerveau possède sa
propre recette pour ajouter la peur à la souffrance.
Ai-je
dit quelque part que le jeu était un vice ?
La
sueur me coulait dans les yeux, incandescente. Très vite, sa
composante liquide s’évapora, ne laissant que le sel. Ma
tête entière paraissait s’enfler, pas seulement ma
langue. À peine apercevais-je encore le visage d’Astiza
transformé, au sein d’une brume opaque, en un masque de
moins en moins identifiable.
Etait-elle
déjà morte ? Je ne le pensais pas. J’entendais
une sorte de grondement. Peut-être allait-il pleuvoir, comme à
la Cité des Fantômes ?
Non,
la température continuait à s’élever, en
vagues chatoyantes. Astiza sanglotait. Puis ce fut le silence. Si
seulement elle pouvait sombrer dans l’inconscience… Je
priai Dieu dans ce sens. Pour elle et pour moi. Mais la chaleur ne
cessait de croître et ma peau flambait, mes dents rôtissaient
dans leurs alvéoles, mes paupières gonflées
commençaient à obstruer mon regard.
Puis
je vis passer quelque chose. C’était rapide, c’était
noir et je me lamentai intérieurement. Des soldats m’avaient
dit que la piqûre du scorpion était extrêmement
douloureuse. « Comme cent abeilles en même temps »,
d’après l’un. « Comme un tison ardent
pressé contre la peau », d’après
l’autre. « Comme de l’acide dans l’œil »,
d’après un troisième. « Comme un coup
de marteau sur le doigt… »
Une
autre arrivée noire… Les scorpions affluaient, tout
autour de nous. Je ne les entendais pas s’appeler la curée,
mais ils se réunissaient pour attaquer en bande, comme des
loups.
Je
priai pour que leur assaut ne ranimât pas Astiza. Je
m’arc-boutai dans ma tête pour ne pas crier et risquer de
la réveiller. Le grondement s’accentuait.
L’un
des arthropodes était tout proche. Aussi gros qu’un
crocodile, dans cette perspective. J’aurais juré qu’il
me contemplait, avec la persistance alléchée de son
minuscule cerveau. Sa queue dressée frémit, comme s’il
me visait. Et soudain…
Bing !
Je tressautai autant que c’était possible dans mon
cercueil de sable. Une lourde botte poussiéreuse s’était
abattue sur le monstre et la semelle tournait de droite et de gauche,
pour être sûre de l’écraser complètement.
Et puis j’entendis une voix familière :
« Par
la barbe du Prophète, toujours incapable de veiller sur
toi-même, hein, Ethan ?
— Ashraf !
murmurai-je dans un vague bruit de gorge, à peine audible.
— J’ai
attendu que tes tortionnaires soient assez loin. Pas très
confortable d’attendre en plein désert. Et je vous
retrouve tous les deux en piteux état, pire qu’à
l’automne dernier ! Tu n’apprendras jamais rien, le
Yankee ! »
Impossible !
Ashraf le mamelouk avait été mon prisonnier, puis mon
compagnon alors que nous quittions Le Caire pour voler au secours
d’Astiza. Il nous avait tirés d’affaire, sur la
rive d’un fleuve, fourni des chevaux et souhaité bonne
route pour rejoindre les forces rebelles de Murad Bey. Et le voilà
qui réapparaissait contre toute possibilité, contre
toute vraisemblance ? Le travail de Thot ?
« Je
te suis à la trace depuis des jours. Jusqu’à
Rosette et puis de retour dans cette fournaise. Incapable de
comprendre pourquoi vous étiez déguisés en
Arabes, dans une charrette tirée par un âne minable !
Et je vous retrouve enterrés vivants par les Français !
Tu as besoin de meilleurs amis, Ethan.
— Allah
t’entende ! »
Moi,
j’entendais, déjà, le son béni d’une
bêche attaquant ma gangue de sable…
*
* *
À
peine si je me souviens de la suite… nous fûmes entourés
d’une meute de mamelouks bien armés, d’où
le grondement que j’avais perçu, abreuvés,
douloureusement arrosés et juchés sur des chameaux…
Puis une longue route sous le soleil déclinant, suivi d’une
nuit
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