Hiéroglyphes
parce qu’il s’ennuyait et n’avait pas
d’amis. Je suppose que sa compagnie était considérée
comme partie intégrante de la punition, mais je le trouvais
plutôt sympathique. Il montrait plus de tolérance envers
les prisonniers que certains hôtes envers leurs invités.
Semblant apprécier, grandement, que la belle Astiza soit aussi
agréable à regarder, et que je sois, pour ma part,
d’aussi bonne compagnie.
« Bonaparte,
discourait-il complaisamment, veut être un George Washington
qui accepte sans grand enthousiasme de gouverner son pays, mais il
n’en a ni le sérieux ni l’assurance. Oui, j’ai
étudié Washington, et son stoïcisme empreint de
modestie est un gros atout pour l’Amérique. Le Corse,
lui, est arrivé certain d’être porté au
Directoire par le populaire, mais ses supérieurs l’ont
accueilli froidement. Qu’est-ce qu’il fait ici, rentré
d’Égypte sans y être invité ? Vous
avez lu Le Messager ?
— Puis-je
vous rappeler, monsieur Boniface, dit gentiment Astiza, que nous
sommes confinés à l’intérieur de ce
donjon ?
— Oui,
oui, bien sûr. Ce brave périodique a dénoncé
la campagne d’Égypte ! L’a tournée en
dérision ! Une armée abandonnée ! Des
soldats lancés inutilement à l’assaut des
fortifications d’Acre ! Bonaparte humilié par un
homme qui fut prisonnier dans ces murs, Sir Sidney Smith ! Les
journaux ont voix au chapitre à l’assemblée, vous
savez. C’en est fini de Napoléon. »
Talma
ne m’avait-il pas dit que Bonaparte craignait la presse hostile
plus que la baïonnette ? Mais personne ne savait qu’il
détenait le livre et que Silano disposait, de nouveau, du code
permettant d’en venir à bout. Beau résultat de
nos négociations avec Joséphine, cette hétaïre
calculatrice capable de séduire le pape et de le réduire,
en fin de compte, à la mendicité !
Quand
j’interrogeais Boniface sur les chevaliers du Temple qui
avaient édifié cette forteresse, c’était à
peu près comme si j’actionnais le levier d’une
pompe. Faits et théories jaillissaient à jet continu :
« Jacques
de Molay lui-même a été grand maître ici,
avant d’être torturé. Le Temple héberge des
fantômes, des jeunes gens que j’entends se lamenter en
hiver, au cœur des tempêtes. Les Templiers ont été
frappés et brûlés jusqu’à ce qu’ils
confessent les pires abominations et cérémonies
diaboliques, et puis crac, direction le bûcher ! Mais où
étaient leurs trésors ? Les pièces dans
lesquelles vous vivez étaient censées en être
bourrées, mais, quand le roi de France est arrivé pour
les piller, elles étaient déjà vides ! Et
où diable résidait la source de leurs fameux pouvoirs ?
De Molay n’a jamais parlé, sauf au moment de mourir. Sur
le bûcher, il a prophétisé que le roi et le pape
périraient dans l’année. Et ce fut vrai !
Ces Templiers n’étaient pas seulement des moines
guerriers, mon ami, c’étaient des magiciens. Ils avaient
découvert, à Jérusalem, quelque chose qui leur
conférait d’étranges pouvoirs.
— Imaginez,
murmura Astiza, que certains de ces pouvoirs puissent être
redécouverts.
— Un
homme tel que Bonaparte s’emparerait de l’État en
un clin d’œil ! Puis entreprendrait de changer le
monde, écoutez-moi bien, pour le meilleur et pour le pire !
— C’est
alors qu’on passerait en jugement ?
— Non,
directement à la guillotine ! »
Il
haussa les épaules avec bonne humeur. Il aimait également
écouter les récits qu’on censurait soigneusement
avant de les lui prodiguer. Étions-nous entrés dans la
Grande Pyramide ? Certes, mais sans rien y voir !
Et
le mont du Temple, à Jérusalem ? Un site sacré
islamique, interdit aux chrétiens.
Et
ces rumeurs qui font mention de cités perdues en plein
désert ? Si elles étaient perdues, comment
aurait-on pu les retrouver ?
Les
Anciens, s’obstinait Boniface, n’auraient pas pu édifier
ces énormes monuments sans l’appoint de formidables
secrets. La magie n’avait pas résisté à
l’apparition des curés. Notre époque était
pauvre, cynique et mécanique, à présent
dépouillée de tout sens du merveilleux. Rien ne valait
l’Égypte !
« Et
si ces pouvoirs étaient redécouverts ?
— Tu
sais quelque chose, pas vrai, l’Américain ? Non, ne
secoue pas la tête ! Tu sais quelque chose et moi,
Boniface, je finirai bien par te le faire cracher ! »
*
*
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