Hiéroglyphes
l’adresse
nouvellement rebaptisée « rue de la Victoire »,
conséquence de ses premiers triomphes en Italie. Et sans plan
préparé, sans complices et sans armes, nous entreprîmes
de regagner la confiance du potentat aux ambitions démesurées.
Que
savions-nous de Joséphine ? Juste les cancans dont Paris
se régale. Née dans l’île de la Martinique,
elle avait six ans de plus que Napoléon, cinq centimètres
de moins et l’instinct de survie chevillé au corps. Elle
avait épousé un jeune et riche officier nommé
Alexandre de Beauharnais, mais il avait tellement honte de ses
manières provinciales qu’il avait refusé de la
présenter à la cour de Marie-Antoinette.
Bientôt
séparée de Beauharnais et rapatriée aux
Caraïbes, elle y avait fui une révolte des esclaves et
réintégré Paris au plus fort de la Révolution.
Tombée veuve en 1794, par la grâce de la guillotine,
emprisonnée elle-même, elle avait dû son salut au
putsch qui avait mis fin à la Terreur.
Quand
un jeune officier du nom de Bonaparte l’avait complimentée
sur le courage de son fils Eugène désireux de récupérer
le sabre d’un père victime de la guillotine, elle
l’avait promptement séduit. Il l’avait épousée,
elle avait couché avec la moitié de Paris pendant qu’il
était en Italie et en Égypte. On la disait nymphomane.
Et, quand la nouvelle du retour de Napoléon l’avait
surprise en ménage avec un ancien officier devenu businessman
du nom d’Hippolyte Charles, elle s’était affolée.
Maintenant que la Révolution avait institué le divorce,
elle était en grand danger de tout perdre au moment où
il briguait le pouvoir suprême. À trente-six ans, au
terme de sa jeunesse, elle n’aurait jamais une autre chance.
Ses
yeux s’écarquillèrent au récit d’Astiza
sur les pouvoirs surnaturels. Fille des îles sucrières,
les histoires de magie avaient bercé son enfance.
« Ce
livre peut détruire ceux qui le possèdent, affirmait
Astiza. Ainsi que les nations où ses pouvoirs se déchaîneront.
Les Anciens le savaient et c’est pourquoi ils l’avaient
caché. En nous le volant, le comte Silano a tenté le
diable. Il a ensorcelé votre mari avec ses récits de
pouvoirs illimités. Napoléon pourrait en perdre
l’esprit. Vous devez nous aider à reprendre le livre.
— Mais
comment ?
— Nous
le protégerons si vous nous le rendez. Que vous soyez au
courant vous procurera sur lui une grande influence.
— Qui
êtes-vous donc ?
— Je
m’appelle Astiza, je suis égyptienne et lui, c’est
Ethan Gage, américain.
— Gage ?
L’électricien ? Le disciple de Franklin ?
— Madame,
je suis honoré d’avoir fait votre connaissance et flatté
que vous ayez entendu parler de moi. »
Je
lui pris la main et la baisai.
« J’espère
que nous pourrons être alliés. »
Elle
se dégagea.
« Mais
vous êtes un meurtrier ? »
Puis,
à Astiza :
« Et
vous, peut-être rien de plus qu’une aventurière !
— Un
parfait exemple des mensonges de Silano pour gagner la confiance de
votre mari et détruire ses rêves. J’ai été
victime d’une accusation infondée. Éloignons ce
poison de votre mari, et votre bonheur conjugal reprendra comme
avant.
— Oui,
c’est la faute de Silano, pas la mienne. Vous dites que ce
livre renferme de terribles pouvoirs ?
— De
ceux qui peuvent enchaîner les âmes. »
Elle
réfléchit longuement. Puis elle se redressa, s’adossa,
souriante, contre le dossier du siège.
« Vous
avez raison ? Dieu veille sur moi. »
*
* *
La
maison de Bonaparte, acquise par Joséphine avant leur mariage,
était sise dans le quartier de Paris connu sous le nom de
Chaussée d’Antin, une ancienne zone maraîchère
où les riches avaient bâti, au siècle précédent,
de charmantes demeures appelées « folies ».
C’était une modeste résidence d’un étage
avec une roseraie au bout de son terrain, et une vaste terrasse que
Joséphine avait pourvue d’un toit d’ardoise et
décorée de drapeaux et de tapisseries : un foyer
idéal pour fonctionnaires en pleine ascension. Sa voiture se
rangea sous les tilleuls, dans l’allée de gravillon.
Elle en descendit, nerveuse, en se pinçant les joues et
s’informant à mi-voix :
« De
quoi j’ai l’air ?
— D’une
femme qui porte un secret, la rassura Astiza. Et pleinement maîtresse
d’elle-même. »
Joséphine
eut un sourire légèrement incertain et respira
profondément.
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