Hiéroglyphes
donnant sur
un balcon garni de rosiers en pots légèrement fanés
cascadant vers le sol. Quelques pétales en étaient
tombés et gisaient, colorés, sur fond de suie.
La
porte se referma derrière moi, et je constatai que le battant
largement ouvert m’avait empêché de la voir tout
de suite. Elle passa près de moi comme une ombre, sans dire un
mot, en me dévisageant à l’oblique avec une
curiosité intense qui me stupéfia. Il est vrai que je
suis plutôt belle bête, mais que pouvais-je avoir de si
intéressant ? Sa robe tombait depuis son cou jusqu’à
ses chevilles, et le foulard commun à toutes les religions, en
Palestine, lui couvrait la tête, mais j’en avais assez
vu, au passage, pour me faire une opinion. C’était une
très jolie femme.
Son
visage avait la beauté épanouie d’un tableau de
la Renaissance, son teint la pâleur d’une coquille d’œuf,
aussi exceptionnelle que le gris de ses yeux dans cette partie du
monde. Sa bouche aux lèvres pleines s’agrémentait
d’un sourire presque imperceptible et quand je croisai son
regard, elle le baissa modestement. Son nez, de profil, avait cette
légère courbure méditerranéenne que je
trouve follement séduisante. Très peu de cheveux en
vue, à l’exception de quelques mèches échappées,
d’un blond également surprenant, sous cette latitude.
Quant à sa silhouette, j’en devinais juste assez pour
dire qu’elle était mince. Et, là-dessus, elle
disparut au-delà d’une porte.
Ce
travail de repérage terminé, je me retournai juste à
temps pour découvrir le grand barbu taillé en force qui
sortait de son repaire en tablier de cuir. Il avait des avant-bras de
forgeron, épais comme des jambons et marqués des
brûlures inévitables de la forge. La suie de son métier
ne cachait ni ses cheveux couleur sable ni les yeux d’un bleu
surprenant qui me toisaient avec scepticisme. Quelques Vikings
avaient-ils échoué en Syrie ? La plénitude
de ses lèvres et le rose de ses joues, au-delà de sa
barbe drue, adoucissaient ce physique rébarbatif dont la
bienveillance juvénile rappelait celle de la femme. Le genre
d’expression que je prêtais d’ordinaire à
Joseph le Charpentier. Il ôta son énorme gant de cuir
avant de me tendre la main.
« Gage,
c’est ça ? »
Je
serrai cette main calleuse, dure comme du bois.
« Ethan
Gage.
— Jéricho. »
Sa
bouche faisait sans doute penser à celle d’une femme,
mais sa poigne avait la puissance et la dureté d’un
étau.
« Comme
votre femme vous l’a peut-être annoncé…
— Pas
femme, sœur.
— Vraiment ? »
Ça,
c’était une bonne nouvelle. Non que j’aie
l’intention d’oublier Astiza une seule minute, mais la
beauté féminine éveille toujours l’intérêt
d’un mâle bien portant, et mieux vaut savoir où on
met les pieds, dans tous les hasards de la vie.
« Elle
est plutôt timide, avec les étrangers, alors gardez vos
distances. »
Une
saine mise en garde, de la part d’un gaillard à peu près
aussi fragile que la souche d’un gros chêne.
« Naturellement.
Mais je suis heureux qu’elle comprenne l’anglais.
— Ce
qui serait extraordinaire, c’est qu’elle ne le comprenne
pas. Elle a vécu en Angleterre. Avec moi. Elle n’a rien
à voir avec nos affaires.
— Charmante
et réservée. L’attitude idéale d’une
vraie lady. »
Il
ne réagit pas à mon trait d’esprit avec autant
d’enthousiasme que la souche massive à laquelle je
n’avais pu m’empêcher de le comparer.
« Smith
m’a fait prévenir de votre intervention. Je peux vous
loger temporairement. Et vous donner le conseil d’un
connaisseur. Tout individu qui prétend pouvoir comprendre la
politique de Jérusalem est un menteur sans cervelle. »
Je
ne m’offusquai pas pour si peu.
« Alors,
mon séjour sera peut-être bref. Le temps de poser des
questions sans en trouver les réponses, et je rentrerai au
bercail ! Comme n’importe quel pèlerin ! »
Il
me toisa des pieds à la tête.
« Vous
préférez les frusques arabes ?
— Je
les trouve confortables, anonymes, parfaites pour le souk ou le
caoua. Je baragouine un peu d’arabe. »
Et
j’avais la ferme intention de perfectionner ma connaissance de
la langue. Mais je pris le temps d’ajouter :
« Et
vous, Jéricho… je ne vous vois pas tomber de sitôt ! »
Mais
je n’avais réussi qu’à l’intriguer,
léger. Je précisai :
« L’histoire
biblique. La chute des
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