Histoire De France 1715-1723 Volume 17
finissait, ne pouvait guère le rassurer. Rome avait triomphé. Dubois était tout cardinal, jusqu'à promettre à Rome de faire rentrer partout les prêtres dans l'administration. Voltaire, en ce moment, le vaillant étourdi, va prendre un héros protestant. Il va chercher au fond de l'histoire un Henri IV, alors si profondément oublié, qui restait mal noté, un ennemi de l'Espagne qu'à ce moment la France épouse. Ce Henri, il l'expose, comme héros de clémence, d'humanité, d'un cœur facile et tendre, bref, comme l'homme . Ce seul mot dit tout. La merveille, c'est que le poème pâlira et tombera avec le temps et justement; Henri IV restera. Voltaire réellement l'a refait. C'est l'idéal nouveau et accepté du siècle. D'autant baisse Louis XIV, ce funeste idéal (enflure et sécheresse), qui jusque-là remplit la tête vide des rois de l'Europe.
Rhétorique et déclamation, faux merveilleux, faiblesse et parfois platitude. Tout cela ne fait rien. Il ya dans ce poème (la pire œuvre de Voltaire) quelque chose d'aimable et de bon, qui est partout chez lui, le bon sourire, malin et tendre, de son portrait du Musée de Rouen. Et cela alla augmentant. Une de ses ennemies, madame de Genlis, qu'il reçut à Ferney, fut surprise de voir, avec sa bouche satirique, son regard si tendre et si doux. «Le cœur même, dit-elle, de Zaïre était dans ses yeux.»
«Voilà un grand contraste!» Point du tout. La tendresse, l'esprit satirique, l'amour, la guerre ne sont point opposés. La bonté, la pitié, chez quelques-uns sont violentes, et pleines d'un esprit de combat. Elles rendent impitoyable pour toute chose cruelle, pour toute idée barbare, pour tout dogme inhumain. Ces deux dispositions nullement contraires se rencontrent chez tous les grands hommes de ce siècle, spécialement chez Montesquieu. Dans une de ses Lettres persanes , il s'est peint, il a dit le fond de sa nature. Il s'avoue faible et tendre, sans défense contre la pitié. Il était jeune alors, moins résigné qu'il ne le fut plus tard aux souffrances de l'humanité, d'autant plus hostile aux tyrans, aux systèmes surtout qui furent pour des mille ans les tyrans de l'espèce humaine. Dans ce livre, si fort, léger en apparence, d'une gaieté habile et profondément calculée, il a montré comment les doux, au besoin, sont terribles, et les timides hardis. C'est un esprit serein, mondain, ce semble, et pacifique, qui fait en se jouant voler, briller le glaive, accomplit en riant la radicale exécution, l'extermination du passé.
Il imprime en Hollande; mais Voltaire qui imprimeen France a bien plus de ménagements. Il reste longtemps en arrière, ne peut secouer son respect d'enfance pour le grand roi et le grand siècle. Il traîne longtemps son Racine. Les récits de Villars, le vieux conteur, les beaux yeux de la maréchale, tout cela fit longtemps tort à Voltaire, le retarda. Élève des Jésuites, et fort caressé d'eux, il est faible pour ses vieux maîtres.
Le siècle demandait, désirait un génie qui tranchât nettement dans le temps, partît de l' écart absolu , comme on dit aujourd'hui, mais de l'écart dans le bon sens, un génie qui surtout allât droit à la question fondamentale, la question religieuse, ne cherchât pas, comme les utopistes d'alors, de vains raccommodages pour une machine plus qu'usée.
Le Régent, par respect, a imprimé le Télémaque . Il essaye un moment des plans de Fénelon, de ses hauts Conseils de seigneurs. Tout cela ridicule, inutile et mort-né.
On essaye un moment de Boisguilbert, de Vauban même. Les réformes économiques qu'ils tentent à la surface n'ont nulle chance pendant qu'on garde le fond pourri qui est dessous.
Law eût fait quelque chose de sérieux. Ses terribles nécessités le poussant en avant, il aurait «labouré profond», comme on dit en 89. J'ai trouvé qu'au premier moment qu'il fût contrôleur général, on agita la question de forcer le clergé à vendre ce qu'il avait acquis depuis cent vingt ans (plus de la moitié de ses biens). Vente énorme qui, faite d'ensemble, eût fait tomber la terre à rien, l'aurait presquedonnée au monde des petits laboureurs. Mais Law était près de sa fin. On le précipita. Il y eut une espèce de petit concile pour le condamner.
Une telle opération supposait autre chose. Pour atteindre le temporel, il fallait que le spirituel fût éclairci, percé à jour. Deux hommes singuliers, qui virent beaucoup et souvent dans le vrai, semblaient
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