Histoire De France 1715-1723 Volume 17
désintéressé, car l'auteur se mourait, et il avait envoyé son épître par un de ses amis.
Il était six heures. Le Régent devait, à sept, monter chez le Roi et travailler avec lui. Ayant une heure à attendre, il dit (tout en buvant ses tisanes) au valet de chambre: «Va voir s'il y a dans le grand cabinet des dames avec qui l'on puisse causer.—Il y a madamede Prie.» Cela ne lui plut pas. Par je ne sais quel flair, elle avait comme senti la mort, était venue au-devant des nouvelles, observer et rôder. «Mais il y a une autre dame, madame de Falari.—Tu peux la faire entrer.»
C'était une jeune et charmante femme qu'il voyait depuis peu. Elle était Dauphinoise et du pays de la Tencin. Probablement cette dame obligeante l'avait procurée au Régent. Il est vrai, c'était tard pour un homme qui avait dû licencier les Parabère, les Sabran, les d'Averne. Mais la Falari l'amusait. Elle était fort jolie, intéressante et malheureuse. Nulle plus qu'elle n'eut d'excuse. Elle avait épousé un très-mauvais sujet, neveu d'un cardinal, qui, par le crédit de son oncle, s'était fait faire duc de Falari. Il avait des mœurs effroyables, détestait les femmes, battait la sienne, l'abandonnait et la laissait mourir de faim.
Le Régent, qui était assis à boire ses drogues, la fit asseoir aussi, et pour rire, pour l'embarrasser, dit: «Crois-tu qu'il y ait un enfer? un paradis?—Sans doute.—Alors tu es bien malheureuse de mener la vie que tu mènes.—Mais Dieu aura pitié de moi.» ( Manuscrit Buvat. )
Il devint rêveur, s'inclina vers elle, et lourdement sa tête tout à coup appuya sur elle. Il glisse, il se roidit, il meurt.
Elle pousse des cris. Mais comme il était près de sept heures, il n'y avait plus personne. On pensait qu'il était monté, comme à l'ordinaire, chez le Roi par un petit escalier intérieur. Elle a beau courir, appeler par le palais mal éclairé, désert, en cette noire soiréede décembre. Il lui faut un quart d'heure pour avoir du secours. L'une des premières personnes fut la Sabran et un laquais qui savait saigner. «Mon Dieu, n'en faites rien, crie la Sabran, il sort d'avec une gueuse ... Vous le tuerez.» On essaya pourtant et l'on n'y risquait guère. La Falari, profitant de la foule qui se faisait, se dérobe et s'enfuit. Il est mort! Tout s'en va. L'appartement redevient solitaire.
Dès le premier moment, la Vrillière était chez le Roi, chez Fleury. Madame la Duchesse, mère de M. le Duc, s'était jetée dans une voiture; elle volait à Saint-Cloud, chez sa sœur, madame d'Orléans, qu'elle ne voyait jamais, qu'elle détestait, pour la complimenter, la plaindre, l'observer, surtout la clouer là, lui faire perdre du temps, au cas où cette princesse ferait sur sa paresse l'effort d'aller à Versailles, de parler au Roi pour son fils.
L'aile Nord de Versailles était pleine. On assiégeait M. le Duc. La Vrillière, avec sa patente et son serment tout prêt, le mena chez le Roi, où Fleury, comme il était convenu, dit que le Roi ne pouvait mieux faire que de le prier d'être premier ministre. Le Roi avait les yeux humides et rouges. Il ne dit pas un mot. D'un signe il consentit et transféra la monarchie. M. le Duc à l'instant remercia et fit le serment.
Que faisaient les amis du mort? Saint-Simon vint de Meudon à Versailles, pourquoi? pour s'enfermer, dit-il.
Noailles et Guiche couraient, cherchaient le fils du Régent. Il était à Paris. Leurs offres de service furent mal reçues. Il s'en débarrassa. Et Saint-Simona tort de le lui reprocher. Ils arrivaient fort tard; ils arrivaient sans Saint-Simon.
Louis XV, qui ne sentait rien, pleura cependant le Régent et en parla toujours avec affection. L'Europe le regretta et regretta Dubois. Paris, avec le temps et sous ceux qui suivirent, plats, sots et violents, se souvint volontiers de deux hommes d'esprit qui n'avaient pas été cruels. Dubois persécuta bien moins qu'on n'eût voulu. Il s'en excuse plaisamment en écrivant à Rome: «Les Jansénistes sont si sobres et si simples de vie, que la prison, l'exil ne leur font rien.» Le Régent, avec tous ses vices et sa déplorable faiblesse, fut, il faut bien le dire, infiniment doux et humain. La Henriade , livre non de génie, mais d'humanité, de bonté, fut accueilli par lui, et on lui saura toujours gré d'avoir bien reçu, admiré, laissé circuler ce grand livre si hardi, les Lettres persanes , l'œuvre émancipatrice qui a couronné la Régence. [Retour
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