Histoire de France
honte, un sentiment mauvais et nouveau se mêla chez les Français : le plaisir d’accuser nos généraux d’incapacité, d’opposer le luxe de nos officiers aux simples vertus du vainqueur. Jamais l’admiration de l’ennemi n’alla si loin : elle a duré, elle a profité à la Prusse jusqu’à la veille de 1870. Frédéric de Hohenzollern passa pour le type du souverain éclairé. Ses victoires, pour celles du progrès et même, ou peu s’en faut, de la liberté. C’était pourtant un despote, un souverain absolu et plus autoritaire que tous les autres. Sa méthode c’était le militarisme, le caporalisme, le dressage prussien, le contraire du gouvernement libéral. Il a fallu plus d’un siècle pour qu’on s’en aperçût.
Après Rosbach, Bernis eut l’intuition que la guerre d’Allemagne était perdue, et que mieux vaudrait nous en retirer. Au conseil, l’avis opposé prévalut. La campagne fut continuée toute l’année 1758, mélangée pour nous de succès et de revers, sans résultats. Frédéric tenait toujours tête aux Autrichiens et aux Russes. Il semblait pourtant impossible qu’à la fin il ne fut pas écrasé. Encore un effort, et la coalition viendrait à bout de la Prusse. Ce fut la thèse que soutint Choiseul, partisan de l’alliance autrichienne, et il quitta son ambassade pour succéder à Bernis découragé.
Résolu à poursuivre la guerre, Choiseul eut une idée juste. Rien ne serait obtenu tant que nous serions impuissants sur mer. Pour cesser de l’être, il ne fallait pas seulement renforcer nos escadres autant qu’on le pouvait au milieu des hostilités, mais acquérir des alliés maritimes. L’Espagne, quoique déchue, comptait encore, Naples était une bonne position dans la Méditerranée et des Bourbons régnaient à Madrid et à Naples comme à Paris. En aidant à leur donner ces royaumes, la France ne devait pas avoir travaillé en vain. Le pacte de famille ajouté à l’alliance autrichienne, ce fut la politique de Choiseul.
Si l’idée était juste, elle venait trop tard. Choiseul eut aussi le tort de voir trop grand. Il organisa une descente en Angleterre, mais la flotte anglaise, qui bloquait nos côtes depuis longtemps, battit à Lagos l’escadre de Toulon qui tentait de rejoindre Brest et, dans le Morbihan, la « journée de M. de Conflans » fut un désastre égal à celui de la Hougue. Une diversion de nos corsaires en Irlande fut inutile. Et le pacte de famille lui-même, signé en 1761, ne servit à rien pour cette fois. L’Espagne n’était pas prête et les Anglais en profitèrent pour s’emparer des colonies espagnoles. Ayant les mains pleines, maîtres de nos îles bretonnes, ils commençaient cependant à se lasser, comme en 1711, des lourdes dépenses de la guerre. Pitt tomba et les tories pacifiques revinrent au pouvoir. Cependant le cercle de ses ennemis se resserrait autour de Frédéric. Sa perte semblait certaine. Une circonstance, celle que l’Allemagne a encore calculée en 1917, le sauva : Élisabeth étant morte en 1762, la Russie de Pierre III fit défection à ses alliés, se rapprocha de la Prusse, et l’Autriche, renonçant à la lutte, conclut à Hubertsbourg une paix par laquelle elle abandonnait la Silésie à Frédéric. Quelques jours avant, par le traité de Paris, la France s’était résignée elle-même à signer la paix que l’Angleterre avait voulue (1763).
Ainsi, avec l’Angleterre comme avec la Prusse, nous avions perdu la partie, mais c’était sur mer surtout que nous avions eu le dessous. La preuve était faite depuis longtemps qu’aucun conflit avec les Anglais ne pouvait bien tourner pour nous si notre marine était incapable de tenir tête à la leur. Au traité de Paris, cette leçon fut payée de notre domaine colonial presque entier. Le Canada, la rive gauche du Mississippi, le Sénégal sauf Gorée, l’Inde sauf les quelques comptoirs que nous y possédons encore : le prix de notre défaite était lourd, d’autant plus lourd que les bases de l’Empire britannique étaient désormais jetées. Cependant ce n’en étaient que les bases. Cette grande victoire, l’Angleterre aurait encore à en défendre les résultats et, tout de suite, elle le sentit, elle reprocha à son gouvernement de n’avoir pas mis la France aussi bas que Pitt s’y était engagé. Car si le public français prit légèrement la perte de nos colonies, il commença aussi à sentir que la domination de la mer par les
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