Histoire de France
principes, des lumières sans doute, mais aussi, à un haut degré, des préjugés du siècle, dont le fond était une excessive confiance dans la nature humaine. »
Il eût fallu un roi « pratique et prudent » et Louis XVI n’avait que de bonnes intentions, avec des idées confuses. Son premier ministère fut ce que nous nommerions un « grand ministère ». Il était composé de « compétences », d’hommes travailleurs, intègres, populaires pour la plupart. Le jeune roi n’avait écouté ni ses sentiments ni ses préférences, puisqu’il avait même appelé Malesherbes, célèbre pour la protection qu’il avait accordée aux philosophes lorsqu’il avait été directeur de la librairie, c’est-à-dire de la presse. Maurepas, homme d’État d’une vieille expérience, Miromesnil, garde des sceaux, Vergennes, notre meilleur diplomate, plus tard, Saint Germain à la guerre, enfin et surtout Turgot, l’illustre Turgot, dont Voltaire baisait les mains en pleurant : il y avait dans ce personnel ce qui donnait le plus d’espoir.
Cependant ce ministère ne réussit pas. Il est impossible de dire si les réformes de Turgot auraient préservé la France d’une révolution. Ses plans avaient une part de réalisme et une part de chimère. Ils s’inspiraient d’ailleurs des idées qui avaient cours, ses successeurs les ont suivis, et les assemblées révolutionnaires les reprendront. Mais, par ce choix même, l’inconséquence de Louis XVI éclatait. Turgot s’était fait connaître comme intendant et les intendants représentaient le « progrès par en haut » dans les pays qui relevaient directement de la couronne. Leur esprit était à l’opposé de l’esprit des Parlements que le roi restaurait. Il y avait là, dans le nouveau règne, une première contradiction. De toute façon, le temps a manqué à Turgot pour exécuter son programme et, s’il avait obtenu, dans l’intendance du Limousin, des résultats qui l’avaient rendu célèbre, c’est parce qu’il était resté treize ans à son poste. Il ne resta que deux ans ministre. Ce ne fut pas seulement à cause de l’opposition qu’il rencontra et à laquelle on devait s’attendre. Turgot ne pouvait combattre les abus sans blesser des intérêts et rencontrer des résistances, celle du Parlement en premier lieu, qui, à peine réintégré avec promesse de ne pas retomber dans son ancienne opposition, manifestait de nouveau son bizarre esprit, à la fois réactionnaire et frondeur. Le plan de Turgot pour assainir les finances n’était pas nouveau et l’on a rendu justice aux contrôleurs généraux qui l’ont précédé. Il s’agissait toujours de faire des économies, de mieux répartir l’impôt entre les contribuables, de supprimer les exemptions et les privilèges, et ces projets soulevaient toujours les mêmes tempêtes. D’autre part, Turgot, convaincu comme l’avait été Sully, que l’agriculture était la base de la richesse nationale, cherchait à la favoriser de diverses manières et en même temps à remédier au fléau des disettes par la liberté du commerce des blés. Là, il ne se heurta pas seulement aux intérêts, mais aux préjugés. Il fut accusé, lui, l’honnête homme, de faire sortir le grain du royaume comme Louis XV l’avait été du « pacte de famine ». Dans son programme de liberté, Turgot touchait d’ailleurs à d’autres privilèges, ceux des corporations de métiers, ce qui provoquait les colères du petit commerce. Ses préférences pour l’agriculture lui valaient aussi le ressentiment de l’industrie et de la finance. « Turgot, dit Michelet, eut contre lui les soigneurs et les épiciers. » Il faut ajouter les banquiers dont le porte-parole était Necker, un Genevois, un étranger comme Law, et qui avait comme lui une recette merveilleuse et funeste : l’emprunt, l’appel illimité au crédit.
Les inimitiés que Turgot s’était acquises, à la Cour et dans le pays, étaient celles que devait rencontrer tout ministre des Finances réformateur. Elles contribuèrent sans doute à le renverser. La vraie cause de sa chute fut d’une autre nature. Pour remplir son programme, Turgot avait besoin de la paix. Il disait que le premier coup de canon serait le signal de la banqueroute. Mais que répondait le ministre des Affaires étrangères ? En 1776, un événement considérable venait de se produire : les colonies anglaises de l’Amérique du Nord s’étaient insurgées.
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