Histoire de France
Quelle solution adopter ? La seule possible, et bien rares furent ceux qui ne s’y rallièrent pas, était de rappeler les Bourbons. Talleyrand avait été un des principaux artisans de leur restauration, bien qu’il les aimât peu, parce qu’il se rendait compte que toute autre combinaison était vaine. Républicain ou impérial, le régime qui tirerait son origine de la Révolution serait condamné à la guerre, et la France avait mené la guerre jusqu’à l’extrême limite de ses forces. Rien de plus significatif que l’empressement des maréchaux de Napoléon autour de Louis XVIII. Depuis 1812, ils avaient prévu pour la plupart que « tout cela » finirait mal. Tout cela ayant mal fini, la difficulté de gouverner devait être grande pour n’importe quel régime. Mais la République avait abdiqué le 18 brumaire, l’Empire était tombé avec la défaite, et ni la République ni l’Empire ne pouvaient conclure la paix, dont la monarchie dut prendre la responsabilité.
On a dit et redit que les Bourbons, au sortir de l’exil, n’avaient rien oublié, rien appris. Si l’on voulait être juste, on pourrait s’étonner qu’ils eussent oublié tant de choses et trouvé naturel d’en accepter tant. Les frères de Louis XVI ne songeaient à rétablir ni l’ancienne Constitution ni l’ancienne physionomie du royaume. Ils prirent la situation telle qu’elle était, avec l’administration et les Codes de l’an VIII, laissant même à leur poste une grande partie des préfets et des sous-préfets de Napoléon. Jamais, dans l’histoire de la dynastie, il n’y avait eu d’aussi long interrègne et l’on a le droit d’être surpris que la royauté ne soit pas revenue d’exil avec un plus gros bagage de préjugés. Les émigrés en avaient rapporté bien davantage et le plus gênant pour la monarchie, ce qui était nouveau pour elle, c’était l’existence d’un parti royaliste, alors qu’autrefois ceux qui n’étaient pas royalistes formaient seuls des partis. La tâche la plus délicate des Bourbons restaurés fut de se dégager de leurs partisans, des hommes qui avaient pourtant souffert et lutté pour eux, dont le dévouement, ne fût-ce que pour la sécurité de la famille royale, était encore utile. Si les royalistes fidèles avaient droit à la justice, comme les autres Français, ce n’était pas pour eux seuls qu’on pouvait régner. Cependant ils attendaient des réparations et des récompenses. Il fallait aussi rassurer la nombreuse catégorie des propriétaires de biens nationaux. En outre, de toutes les parties du grand Empire napoléonien, du fond de l’Allemagne et du fond de l’Italie, où des corps isolés de la Grande Armée s’étaient maintenus malgré la débâcle, des soldats, des officiers, des fonctionnaires rentraient par milliers, et tout ce monde, dont la guerre avait été l’unique profession et qu’on n’avait plus de quoi employer, devait former une classe de mécontents. Le bonapartisme aurait là ses recrues. Il y avait aussi les restes du parti jacobin, muet sous l’Empire et que sa chute avait ranimés. Il serait malaisé de trouver une ligne moyenne entre tant d’éléments et d’intérêts divers.
Louis XVIII n’ignorait pas les écueils qui entoureraient la monarchie, restaurée après une si longue interruption. Sur le moment, tout était facile. Les Bourbons n’avaient pas eu à s’offrir : on les demandait. La France était lasse de la guerre, lasse aussi de ce qu’on appelait le despotisme impérial. Louis XVIII, qui avait de l’expérience, de l’étude, de la finesse, qui avait vu beaucoup de choses, se rendit compte des circonstances dans lesquelles il rentrait. Il avait à ménager son autorité et il n’eût pas été prudent de commencer son règne en humiliant le principe dont il tirait sa force. Il avait aussi des satisfactions à donner aux idées du temps. Le Sénat, en l’appelant au trône, avait établi des conditions, fixé des garanties pour les personnes et pour les biens, tracé un programme de gouvernement constitutionnel. Sauf un point, Louis XVIII accepta tout. Deux Chambres, comme en Angleterre, c’était le système qui semblait le meilleur et même le plus commode pour une monarchie. L’égalité civile n’avait rien non plus pour déplaire à un roi de France ; le frère de Louis XVI savait combien la résistance des privilégiés, en arrêtant les réformes, avait été funeste à l’ancien régime.
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