Histoire de France
de Vienne. Insensible aux avantages obtenus, à des calculs qui dépassaient l’entendement des foules et qu’on ne pouvait expliquer tout haut sans en compromettre le succès, la France n’avait vu que le rétrécissement de ses frontières, et elle imputait aux Bourbons, ramenés, comme on commençait à le dire, « dans les fourgons de l’étranger », une faute qui n’était pas la leur. Thiers répète, avec une insistance rare à l’époque où il écrivait et pour le public dont il était lu, que toute la faute était à Napoléon.
Il suffit pourtant que Napoléon revînt de l’île d’Elbe par une audace qui rappelait le retour d’Égypte, il suffit qu’il parût pour que la France presque entière se ralliât à lui. Il n’y a peut-être pas de phénomène plus extraordinaire dans notre histoire. Tous les hommes raisonnables prévoyaient qu’une nouvelle tentative de l’empereur finirait par une catastrophe pire que celle de 1814. Les libéraux voyaient avec regret tomber la Charte. Enfin, la France était lasse de la guerre, et ce qu’on avait réclamé des Bourbons avec le plus d’insistance, c’était que la conscription fût abolie. Napoléon a prétendu qu’il avait été rappelé par un mécontentement universel contre la monarchie restaurée. Il y avait, en effet, entre l’ancienne société revenue de l’émigration et la société nouvelle des froissements difficiles à éviter. Surtout, les militaires rentrés en France après la convention du 23 avril, ceux qui n’avaient pas vu l’invasion, avaient le sentiment d’une déchéance imméritée, sans compter l’irritation des officiers à la « demi-solde », car il avait été impossible de conserver les cadres de la Grande Armée napoléonienne. Cependant rien de tout cela n’était vraiment grave. Quelques complots avaient déjà été découverts, et rapidement réprimés. Il fallut Napoléon lui-même pour déterminer un mouvement d’opinion tel qu’en trois semaines il reconquit la France. Dès qu’il paraissait, on oubliait tout : les désastres de la veille et ceux que son retour annonçait, les tueries pour lesquelles on avait fini par maudire son nom, la conscription abhorrée. Officiers et soldats se rallièrent à lui : sachant toujours parler aux soldats, il touchait leur cœur par des souvenirs de gloire, et les premiers détachements envoyés pour lui barrer la route l’acclamèrent après un moment d’hésitation. Grenoble, puis Lyon s’ouvrirent. Le maréchal Ney, qui avait promis de l’arrêter et de le ramener au besoin dans une cage, fléchit à son tour et céda à l’entraînement. Débarqué au Golfe Juan avec une poignée d’hommes, le ler mars 1815, Napoléon, le 20, était aux Tuileries, tandis que Louis XVIII se retirait à Gand.
Cent jours : l’aventure ne dura pas davantage et ce fut assez pour causer des dégâts incalculables. À l’intérieur d’abord, en rendant plus difficile la réconciliation des Français. Napoléon ne savait pas seulement le métier de la guerre. Il savait celui de la politique qu’il avait appris, exercé pendant la Révolution. C’est de la Révolution surtout qu’il réveilla le souvenir, parlant gloire aux soldats, paix et liberté au peuple. L’empereur autoritaire était revenu en démagogue. Deux choses pouvaient lui nuire : la crainte que les Alliés ne reprissent les armes : il assura que son beau-père l’empereur d’Autriche les en empêcherait ; la crainte du despotisme impérial : il disait aux paysans : « Vous êtes menacés du retour des dîmes, des privilèges, des droits féodaux. Je viens vous arracher à la glèbe et au servage. » Restaurateur du culte, fondateur d’une nouvelle noblesse, il excitait maintenant la foule contre les nobles et les prêtres. Aux libéraux, il promettait une Chambre des représentants, la liberté de la presse, ce que Louis XVIII avait déjà donné, mais avec l’esprit de la Révolution en plus. « Si c’était un crime de rappeler Bonaparte, a écrit Mme de Staël, qui ne lui pardonnait pas, c’était une niaiserie de vouloir masquer un tel homme en roi constitutionnel. » Cependant, la plupart des libéraux voulurent être dupes. Benjamin Constant, quelques jours après qu’il avait appelé Napoléon l’ « usurpateur », rédigea l’acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, bien qu’il eût, dès ses premiers entretiens avec l’empereur, « reconnu son mépris
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