Histoire de France
l’armée prussienne, elle prenait parti pour l’Autriche contre l’Italie et pour l’état de choses créé en Allemagne par les traités de 1815. L’empereur se fût donc interdit les compensations qu’il espérait. De plus, le public, qui avait applaudi la guerre de Crimée contre le tsar et la guerre d’Italie contre les Habsbourg, se réjouissait de la victoire prussienne de Sadowa comme d’une victoire du libéralisme et n’eût pas compris la volte-face du gouvernement impérial.
Pourtant, c’est dans l’opinion que le retournement fut le plus rapide. Quand on s’aperçut que la Prusse s’agrandissait en Allemagne, annexait le Hanovre, préparait des conventions militaires avec les États allemands du Sud que nous n’avions pas secourus et qui se livraient maintenant à leurs vainqueurs, quand on vit que Bismarck, au traité de Prague, ménageait l’Autriche pour ne pas la rendre irréconciliable, on comprit enfin où il voulait en venir. Trop tard est un grand mot, un mot terrible de l’histoire. Lorsque Thiers, oubliant que pour combattre Louis-Philippe et Guizot il avait recommandé la politique que Napoléon avait suivie, montrait le danger d’une grande Allemagne unie par la Prusse, lorsqu’il lançait son mot si souvent répété : « Vous n’avez plus une faute à commettre », l’avertissement venait trop tard. La presse, l’opinion publique s’irritaient maintenant contre les vainqueurs de Sadowa, oubliant la faveur obstinée dont les Hohenzollern, depuis Frédéric II, avaient joui chez nous. Et cette tardive révélation de la réalité se traduisait par un énervement qui allait hâter le conflit préparé par Bismarck. C’était pour lui seul que, depuis dix ans, les choses avaient bien tourné, parce que, sur chacun des actes de la France en Europe, il avait modelé sa politique et profité sur-le-champ de toutes les fautes commises. On pouvait comparer Napoléon III à un homme qui marchait avec un bandeau sur les yeux, tandis que son ennemi voyait clair.
De 1866 et de la bataille de Sadowa datent le déclin de l’Empire et une nouvelle situation en Europe. En travaillant à la revanche de Waterloo par la destruction des traités de 1815 et par le principe des nationalités, la France, du congrès de Paris à Solferino, avait eu quelques années d’illusion. En fin de compte, elle avait compromis sa sécurité et provoqué le péril. C’était un changement considérable que l’apparition d’une Prusse agrandie, fortifiée, qui cessait d’avoir l’Autriche pour contre poids et qui dominait désormais les pays germaniques. Toute la politique napoléonienne en fut désemparée. Lorsque l’empereur rappela les promesses de Biarritz, réclama pour la France une compensation aux conquêtes de la Prusse, Bismarck se moqua de cette « note d’aubergiste ». Napoléon III avait demandé Mayence : non seulement Bismarck refusa, mais il mit les princes allemands en garde contre les ambitions de la France. Repoussé de la rive gauche du Rhin, Napoléon III songea à une annexion de la Belgique, tombant dans l’erreur que Louis-Philippe s’était gardé de commettre. Plus tard, Bismarck révéla tout aux Belges et aux Anglais, entourant la France d’une atmosphère de soupçon, afin qu’elle fût seule le jour où il l’attaquerait. Lorsque enfin Napoléon se montra disposé à se contenter du Luxembourg, ce fut dans le Parlement de l’Allemagne du Nord une furieuse protestation contre la France, une manifestation de haine nationale ; Bismarck répondit que la volonté populaire lui interdisait de céder une terre germanique.
Trompé, humilié, Napoléon III portait à l’intérieur le poids de ses échecs. Le temps n’était plus où il n’y avait au Corps législatif que cinq opposants irréductibles. Aux élections de 1863, ils étaient passés à quinze. Paris et les grandes villes votaient pour les candidats de l’opposition. Aux élections de 1867, ce fut pire encore : les candidats du gouvernement n’obtinrent dans toute la France qu’un million de voix de plus que les autres. Le jeu de mots d’Henri Rochefort, dans le premier numéro de son pamphlet la Lanterne, n’était pas sans justesse : « La France contient trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement. » On était mécontent du Mexique, de Sadowa. L’Empire, après avoir promis qu’il serait la paix, avait fait la guerre et la guerre avait déçu les
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