Histoire de France
campagne républicaine grandissait. Elle en reçut une impulsion redoublée. Dans les masses françaises, surtout dans les masses rurales, l’accusation portée contre le gouvernement conservateur d’être un danger pour la paix produisit un effet immense. Le parti républicain, conduit par Gambetta, délaissa sa tradition belliqueuse, comme Thiers, dès 1871, le lui avait conseillé. Ce fut contre les conservateurs qu’il retourna l’accusation d’être le parti de la guerre. Et pourtant l’alerte de 1875 sera suivie de bien d’autres alertes, depuis l’affaire Schnæbelé jusqu’à 1914. On ne tardera pas à voir que l’Allemagne en veut à la France elle-même, et non à ses gouvernements, de même qu’elle avait montré en 1870 que ce n’était pas l’Empire qu’elle attaquait.
Les conservateurs se trouvaient en tout cas dans de mauvaises conditions pour garder le pouvoir. Ils avaient fondé la République, et la République devait être républicaine. Elle était désormais un régime régulier, et elle bénéficiait de ce respect pour l’ordre de choses établi qui avait déjà maintenu l’Empire. En essayant de lutter contre le courant qui entraînait la République vers la gauche, les conservateurs achevèrent de se perdre devant le corps électoral, parce que ce furent eux qui parurent chercher un bouleversement. Ils avaient cru à leur combinaison provisoire, qui ménageait une révision en 1880, à la fin du Septennat. Ils s’aperçurent à leurs dépens qu’ils avaient, pour une masse de Français, créé quelque chose de définitif.
L’Assemblée prit fin après l’entrée en fonctions du Sénat, dont les membres étaient alors en partie inamovibles et nommés par l’Assemblée elle-même. Le Sénat eut ainsi une majorité conservatrice. Mais, le 20 février 1876, les élections législatives, après une ardente campagne de Gambetta contre le cléricalisme et contre la guerre, furent un désastre pour les droites. Le président du conseil, Buffet, fut lui-même battu, et la gauche devint prépondérante dans la Chambre nouvelle. Une année se passa encore où le maréchal de Mac-Mahon tenta de barrer la route à Gambetta et au radicalisme par des ministères modérés. Enfin, le 16 mai 1877, usant des pouvoirs que lui donnait la Constitution, le maréchal remercia son président du conseil qui était Jules Simon. Il s’agissait de sauver « l’ordre moral », de maintenir l’esprit du Septennat et de rendre le gouvernement aux conservateurs. Le duc de Broglie fut rappelé au pouvoir et les Chambres ajournées. L’union des gauches, depuis Thiers jusqu’au socialiste Louis Blanc, se forma aussitôt et son manifeste au pays fut signé par 363 députés. Un mois plus tard, après une séance orageuse où les 363 bravèrent le gouvernement, le maréchal, usant encore du droit que lui donnait la Constitution, prononçait la dissolution, de la Chambre avec l’assentiment du Sénat.
De ce jour, la dissolution a passé pour réactionnaire. Inscrite dans les lois constitutionnelles, aucun président n’y a plus eu recours. Elle a pris l’aspect d’un coup d’État. Le 16 mai n’était pourtant qu’un coup d’État légal, parlementaire, un faux coup d’État. C’était surtout une maladresse. Le maréchal et le duc de Broglie ne mettaient pas la France en face d’un fait accompli. Ils en appelaient des électeurs aux électeurs. Ils leur demandaient de se déjuger à dix-huit mois de distance. La partie était mal engagée. D’avance elle était perdue. L’union des droites se réclamait de l’ordre. Là-dessus, l’union des gauches lui damait le pion. C’était elle qui se mettait à parler un langage conservateur. On veut, disait Gambetta, « lancer la France, pays de la paix, de l’ordre et de l’épargne, dans des aventures dynastiques et guerrières ». Et ces mots-là trouvaient un écho jusque dans les masses rurales. Comme l’avait désiré Jules Grévy, la République ne faisait plus peur et, depuis la Commune, la Révolution était saignée à blanc. C’étaient les droites que l’on accusait de compromettre le repos du pays. Les rôles étaient dûment renversés. Aux élections du 14 octobre 1877, tout l’effort du maréchal, du duc de Broglie et du ministre de l’Intérieur Fourtou ne parvint pas à ramener plus de deux cents de leurs amis contre trois cents élus des gauches. La bataille était bien perdue. Jean-Jacques Weiss avait dit le
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