Histoire de France
un péril. Le jansénisme, qui avait trempé dans la Fronde, était mal vu. Pour la même raison, la dissidence des Protestants, qui vivaient cependant en repos, éveillait des appréhensions constantes. C’est une erreur de croire que le besoin d’unité morale, qui mena à la révocation, ait été d’essence uniquement religieuse. Il fut surtout politique. À cet égard, l’Angleterre et les pays protestants du Nord, en supprimant les restes du catholicisme, en persécutant les catholiques et en les écartant des emplois, avaient donné l’exemple. Les Anglais étaient restés sous l’impression de la Conspiration des Poudres et regardaient les papistes comme des traîtres et des ennemis publics. Pour les Français, le protestantisme représentait, avec le mauvais souvenir de l’État dans l’État et du siège de La Rochelle, une possibilité de retour aux guerres civiles et aux révolutions. Il est très remarquable que Bossuet ait conduit de front ses controverses avec les ministres de la religion réformée et la défense des libertés de l’Église gallicane, que les querelles de Louis XIV avec Innocent XI aient coïncidé avec les mesures contre les protestants.
C’est par des conversions qu’on s’était flatté d’abord de les ramener. Il y en avait eu de retentissantes, celle de Turenne entre autres, qui laissaient croire que le zèle était mort, que l’hérésie « démodée », comme disait Mme de Maintenon (elle-même convertie), consentirait à disparaître. La résistance des réformés, surtout dans les communautés compactes du Midi, irrita les convertisseurs. On passa insensiblement à des procédés plus rudes. Les protestants répondirent par l’émigration. D’autres, en Dauphiné, dans les Cévennes, vieux foyers de la Réforme, prirent les armes. Alors la France vit rouge, crut au retour des désolations de l’autre siècle, à des complots avec l’étranger, d’autant plus qu’on était à la veille de la guerre de la ligue d’Augsbourg. On voulut obtenir de force ce qui avait échoué par la persuasion. Toute l’histoire de la révocation est là et le gouvernement de Louis XIV fut entraîné à des extrémités qu’il n’avait pas prévues et introduit dans des embarras qu’il avoua lui-même en déclarant que, s’il supprimait la liberté du culte pour des raisons de police, il entendait respecter la liberté de conscience. L’émigration priva la France d’un grand nombre d’hommes généralement industrieux (les évaluations vont de cent cinquante à quatre cent mille), et le gouvernement, qui s’efforça bientôt de ramener les réfugiés, fut plus sensible à cette perte que le public, qui aurait volontiers crié « bon débarras ». Par un curieux retour des choses, ces émigrés, bien accueillis dans les pays protestants, surtout en Hollande, contribuèrent à répandre en Europe notre langue et nos arts en même temps qu’une rancune que nos ennemis d’alors ne manquèrent pas d’exploiter. C’est plus tard seulement qu’en France même on en a fait grief à Louis XIV.
La condamnation de Fouquet, la révocation, telles furent les seules affaires intérieures du règne. Rien ne trouble donc l’œuvre magistrale d’organisation que Louis XIV entreprit avec ses ministres, mais sans varier de la règle qu’il s’était fixée, c’est-à-dire sans jamais déléguer le pouvoir à aucun d’eux, fussent-ils les plus grands. Colbert, disciple de Richelieu, formé par Mazarin, désigné par lui au Roi, eut la besogne de plusieurs des plus gros ministères, les finances, la marine, le commerce, l’agriculture, les travaux publics, les colonies. Pourtant il n’eut jamais le titre ni l’emploi de premier ministre, pas plus que Louvois, réorganisateur de l’armée.
Le duc de Saint-Simon s’est plaint de ce règne de vile bourgeoisie. Sous Louis XV, d’Argenson dira avec le même dédain : « satrapie de roture ». Les collaborateurs directs de Louis XIV sortaient en effet de la classe moyenne, en quoi ce règne ne se distingue pas des autres règnes capétiens. Il y eut seulement, dans la génération de 1660, un zèle, un enthousiasme, une ardeur au travail, un goût de tout ce qui était ordonné et grand qui se retrouve dans l’administration comme dans la littérature. L’idée était claire pour tous. La France avait un gouvernement ferme et stable. Elle avait la première place en Europe depuis que ni l’Allemagne divisée, ni
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