Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
meilleure éducation qu’on pût donner à cette
époque : de plus, il était robuste, de belle stature, adroit à
tous les exercices du corps ; il avait le visage agréable, le
regard souriant et le plus doux organe. À peine Judicaël fut-il sur
le trône, que Dagobert lui déclara la guerre, on ne sait trop pour
quel motif, tant il y en a d’allégués. On dit, et c’est la version
la plus vraisemblable, que les Francs et les Bretons limitrophes
commencèrent d’eux-mêmes les hostilités, parce que certaines
ordonnances émanées de Dagobert gênaient le commerce des deux
nations. Après bien des débats de part et d’autre, comme Judicaël
résistait avec fermeté aux prétentions exagérées du roi des Francs,
ce dernier lui envoya en qualité d’ambassadeur saint Éloi, depuis
évêque de Noyon. Judicaël accorda à saint Éloi tout ce qu’il eût
refusé à Dagobert ; il consentit même à le suivre à la cour de
ce roi. L’entrevue des deux rois fut très-amicale ; ils
échangèrent de riches présents, et se quittèrent fort satisfaits
l’un de l’autre. Il ne fut question ni de soumission, ni d’hommage,
ni de rien qui y ressemblât, et le traité de paix, préparé
d’avance, fut ratifié sans aucune contradiction.
Judicaël vécut désormais en paix avec ses
voisins, et rendit ses sujets heureux. Ses goûts et son caractère
le portaient vers la vie religieuse ; il honorait les prêtres,
consolait les affligés, secourait les pauvres, logeait les
pèlerins, protégeait les veuves ; c’était enfin le père du
peuple.
Un jour qu’il revenait d’une campagne située
dans la forêt de Montfort, s’étant arrêté à prier dans une église
qu’il trouva sur son chemin, il s’aperçut, quand il en sortit, que
toute sa suite avait déjà passé à gué la rivière de Meu, qui devait
le conduire dans sa ville capitale. Sur le bord de l’eau était un
pauvre lépreux, qui demandait en suppliant qu’on le fît
passer ; mais les gens du roi le repoussaient et s’en
éloignaient avec horreur. Judicaël fit monter le lépreux sur son
cheval derrière lui, et le déposa sur l’autre rive. À peine le
pauvre eut-il touché le sol, qu’il devint tout resplendissant et
qu’en lui se manifesta le Christ même, qui dit au saint roi :
« Parce que tu ne m’as pas méprisé sur la terre, tu y seras
exalté, et après ta mort je te mettrai en mon paradis. » Puis
il s’éleva au ciel, entouré d’une immense clarté.
Après un long règne Judicaël, quittant le
monde, descendit du trône et s’ensevelit dans l’obscurité d’un
cloître, ayant pourvu au bonheur de son peuple. L’Église l’a placé
au nombre des saints.
Salomon II mourut en 658. Alain II,
dit le Long, régna après lui, et sa mort, arrivée en 690, termina
la première race des rois de Bretagne. Ce pays était devenu le
partage de quelques puissants seigneurs, qui, las d’obéir à des
fantômes de rois, se déclarèrent indépendants. La plupart de ces
princes descendaient de la race de Conan, d’autres de celle de
saint Judicaël. Ils étaient comtes de Nantes, de Vannes, de Léon,
de Cornouailles : quelques-uns se qualifièrent rois ;
mais nul ne réunit sous ses lois la Bretagne entière. S’ils ont
fait quelque chose de remarquable, tout est retombé dans l’oubli.
La seule vérité qui éclate à travers l’obscurité des chroniques de
cette époque, c’est que les peuples étaient accablés de misère. La
France, du reste, ne jouissait pas d’une plus grande
prospérité.
Pépin, instruit de la discorde qui régnait
entre les Bretons, se hâta d’en profiter et s’empara de Nantes, de
Rennes, de Dol et de Saint-Malo. Charlemagne, son fils, réclama
vainement des Bretons le paiement du tribut que son père leur avait
imposé. À la suite d’une ligue défensive qu’ils formèrent contre
l’empereur, ils purent jouir de quatorze années de repos ;
mais au bout de ce temps les ambitions particulières se
réveillèrent plus fortes que jamais. Charlemagne fomenta de tout
son pouvoir la discorde en Bretagne, dans le but d’asservir cette
belle province et de l’attacher à ses États.
Sous Louis le Débonnaire, la lutte entre la
France et la Bretagne fut violente et désastreuse pour l’antique
contrée : la perte de leur chef Morvan découragea les
Armoricains ; ils se retirèrent devant l’empereur et le
laissèrent pénétrer jusqu’à Vannes. Deux vengeurs restaient à la
Bretagne,
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