Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
commerce, plus de courriers possibles dans
le pays qu’ils occupaient. Ils tinrent ainsi presque tout l’Ouest
séparé de la France pendant des années entières.
« On a reproché aux chouans d’agir en
voleurs de grande route, d’arrêter et de piller les diligences. Au
point de vue moral, c’est un de leurs moindres méfaits ; au
point de vue de la guerre, c’était la plus naturelle des
représailles. Dépouillés par les révolutionnaires, ils les
dépouillaient à leur tour. Or les diligences, véhicules de leurs
ennemis, représentaient pour eux l’argent, les employés et les amis
de la révolution, presque seuls en voyage d’une ville ou d’un camp
à l’autre. Sans doute, beaucoup d’inoffensifs voyageurs furent
victimes de ces attaques ; mais il ne faut pas attribuer aux
seuls chouans les crimes que tous les bandits de l’Ouest
exécutèrent sous leur nom, en particulier les faux
chouans. »
Ainsi s’expriment MM. Descepeaux et
Pitre-Chevalier, juges impartiaux des chouans.
On doit moins considérer les chouans comme une
armée que comme une société secrète, formée et soutenue par un
fanatisme héroïque. Ils en avaient les habitudes et les allures en
toute chose. Ils avaient leurs tribunaux volants, leurs
francs-juges et leurs exécutions silencieuses. Ils se dévouaient
tour à tour à la punition des traîtres, des espions et des
suspects.
Le second chef des chouans du bas Maine fut
digne du premier. C’était Jean-Louis Tréton, dit
Jambe
d’Argent,
fils d’un pauvre paysan, qui avait douze enfants
pour toute fortune.
Tels étaient les instruments que la Providence
employait pour réprimer la Terreur, pour tenir en échec les
vainqueurs de l’Europe, pour ébranler un jour Napoléon, et pour
relever en France l’autel et le trône renversés.
Bientôt un nouveau La Rouërie entreprit de
rallier toutes ces forces éparses ; c’était le comte Joseph de
Puisaye. « Puisaye, a dit éloquemment M. Crétineau, fut
l’Ulysse d’une insurrection où l’on ne demandait que des
Achilles. » Il s’était flatté d’organiser l’insurrection en
lui donnant de l’unité. Quand il adressa ses plans aux Vendéens,
qui les rejetèrent parce qu’ils ne le connaissaient pas, il avait
déjà une influence réelle en Bretagne. Plus tard il devint suspect
et aux Bretons et aux Vendéens à cause de son engouement pour
l’alliance anglaise. Il avait cependant un parti puissant lorsqu’à
la fin de 1793 le général Beaufort marcha contre lui. Honneur à
Beaufort, qui, au milieu de la fièvre de sang où l’on vivait en ces
temps déplorables, refusa de brûler six cents royalistes au
château, de Thorigny. « En me dévouant au service de la
république, écrivait-il, je n’ai pas pris la charge du bourreau, et
mes soldats pensent comme moi (18 janvier 1794). » Instruit de
ce fait, Jean Chouan défendit à ses hommes de jamais tirer sur le
général. Il fit le même honneur aux volontaires de Rouen, qui
s’appelaient le
bataillon de la Montagne
pour déguiser
impunément leur humanité sous la férocité de leur nom. Kléber tenta
en vain
d’humaniser
la guerre des chouans ; il fut
rappelé presque aussitôt : Vachot, son successeur, reprit pour
mot d’ordre :
Exterminer.
Le 28 juillet 1794, à la suite d’une rude
affaire avec les bleus, Jean Chouan tombe frappé à mort ; ses
deux sœurs et son frère l’avaient précédé sur l’échafaud. Pendant
ce temps-là, le Morbihan se ralliait autour de Georges Cadoudal.
Tout jeune encore, Cadoudal avait fait ses premières armes en
Vendée, où sa force herculéenne, son indomptable résolution, sa
bravoure pleine de sang-froid, étonnèrent Bonchamps et Stofflet. Il
rentra dans le Morbihan, après la déroute de Savenay, avec un seul
des braves qui l’avaient suivi au delà de la Loire. Puisaye arrive
alors en Bretagne avec les débris des troupes vendéennes ; une
espèce d’armée s’organise, et des rapports s’établissent entre les
insurgés du Morbihan, ceux d’Ille-et-Vilaine, ceux des
Côtes-du-Nord et ceux du Maine. Mais, au lieu d’agir, Puisaye
négocie, il attend l’Angleterre. On le décide enfin à tenter un
grand coup sur Rennes (26 mai 1794). Trahis par les bleus, ils
regagnent le Morbihan à travers mille dangers et mille maux. Là,
les deux armées insurgées s’unissent, et l’on est déjà en marche,
quand les chouans d’Ille-et-Vilaine font manquer la jonction en
regagnant leur
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