Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
pays. Puisaye se voit alors battu à Siffré (5
juin) ; ses derniers soldats se dispersent, et ses collègues
l’abandonnent en le maudissant. L’habileté diplomatique de Puisaye
répare bientôt les fautes de son incapacité militaire. Avoué par
les princes et par l’Angleterre, il se fait reconnaître comme
général en chef à Fougères et dans les Côtes-du-Nord. Tous les
autres chefs bretons se rallient à lui, et il passe en Angleterre,
pour en ramener les secours promis (23 décembre 1794). Il ébranle
Pitt, lui arrache la promesse de l’expédition de Quiberon, enlève
d’assaut les pleins pouvoirs du comte d’Artois, et tout restait
suspendu quand tout devait être précipité. Hoche et son état-major,
d’habiles officiers arrivaient pendant ce temps-là en Bretagne.
Hoche appliquait déjà à la Bretagne le système qui devait pacifier
la Vendée : il calmait les populations épuisées, sans désarmer
les chouans ni leurs chefs, qui suspectaient, on sait pourquoi,
jusqu’aux bienfaits de la république. À force d’adresse, on amenait
enfin un bon nombre de chouans et leurs chefs à reconnaître le
traité de Charette, auquel le Morbihan seul refusa d’adhérer. La
guerre y était plus sanglante que jamais : mais les faux
chouans, invention de la république, déshonoraient par leurs
infamies les vrais chouans, dont il était difficile de les
distinguer, tant ils affectaient de prendre le même costume et de
parler le même patois.
Voici comment M. Crétineau-Joly raconte
cette horrible invention de Jean-Bon Saint-André, Lequinio,
Dubois-Crancé, Laignelot, Carrier et Bréard. « Ils avaient
tour à tour fait recrue des natures corrompues que fournit la plus
vile populace. Quand ces recrues, destinées à égorger les
royalistes, eurent péri sous leurs balles, on chercha un moyen plus
sûr de rendre odieux les insurgés ; l’on exhuma des bagnes
toutes les impuretés et tous les forfaits ; on les vêtit du
costume breton ; on leur attacha un chapelet au cou, un
scapulaire sur la poitrine, une cocarde blanche au chapeau. On leur
donna pour ralliement : Vive la religion ! et : Vive
le roi ! Puis on les lâcha dans les campagnes. À cette milice
du crime, connue dans l’Ouest sous le nom de
faux chouans,
on n’imposa que l’obligation de piller, d’incendier et de massacrer
au nom des royalistes. Cette combinaison était atroce ; mais
le comité de Salut Public l’avait conseillée, les représentants en
mission l’accueillirent. Ces faux chouans répandirent dans les
campagnes, et même à l’approche des villes, la terreur et la mort.
On voyait des hommes habillés comme les Bretons se porter à des
excès déplorables ; la prévention et la haine accusèrent les
paysans de ces mêmes excès, et jusqu’à ce jour personne n’avait pu
administrer les preuves de cet acte inouï dans les annales des
guerres civiles. Une lettre de Boursault nous a mis sur la
voie : « La négligence, disait ce conventionnel (10
octobre 1794), s’étend jusqu’aux bagnes,
d’où il s’échappe
beaucoup de galériens. »
Une dépêche du général Rossignol
au comité de Salut Public percera le nuage dont le représentant
cherchait à s’envelopper : « J’ai rencontré, écrit
Rossignol à la date du 25 brumaire an III (15 novembre 1794),
quelques bandes de nos amis qui font bien leur besogne ; ils
tuent tout ce vieux levain de patriotes tièdes que la guillotine
n’a pas retranchés du sein de la république. Mais il faut y
regarder à deux fois ; ces enragés-là ont été démasqués par
les vrais brigands, et ils disent qu’il n’y a plus de sécurité pour
eux. Les chouans les attaquent ; ils les reconnaissent au
parler et aux cheveux qui n’ont pas encore pu pousser, assez
longuement. Je pense qu’on pourrait les utiliser ailleurs ;
ils ont fait leur coup ici, ils ont fait abhorrer les brigands.
Nous n’en demandions pas davantage ; il y a fureur partout
contre ces monstres. Les patriotes s’enthousiasment au récit des
horreurs qu’ils commettent ; et quand la nouvelle de quelque
crime bien horrible nous arrive, je lâche les gardes nationales,
qui ne font pas de quartier. »
Le bas Maine et la basse Normandie furent
infestés par ces misérables, qui mirent tout à feu et à sang. Tout
cela poussait à bout les honnêtes citoyens, et ne pouvait que hâter
la pacification. Boursault, d’ailleurs, venait d’acheter à deux
traîtres tous les secrets des
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