Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
pastorale des Scythes [3004] ,
ou Tartares [3005] jettera du jour sur la cause cachée de ces émigrations dévastatrices.
On peut attribuer les différents caractères des nations
civilisées à l’usage et à l’abus de la raison, qui modifient d’une manière si
différente, et compliquent d’une manière si artificielle, les mœurs et les
opinions d’un Européen et celles d’un Chinois ; mais l’opération de l’instinct est
plus sûre et plus simple que celle de la raison. Il est beaucoup plus aisé de
rendre compte des appétits d’un quadrupède que des arguments d’un philosophe ;
et plus les hordes de sauvages approchent de l’état des animaux, plus le
caractère d’un individu est constamment le même, et plus il a de rapport à
celui de tous. L’uniforme stabilité des mœurs est la suite de l’imperfection
des facultés. Tous les hommes, réduits dans un état d’égalité, conservent les
mêmes besoins, les mêmes désirs et les mêmes jouissances ; et l’influence de la
nourriture ou du climat, qu’un si grand nombre de causes morales arrêtent ou
détruisent dans un état de société plus civilisé, contribue puissamment à
former et conserver le caractère national des Barbares. Dans tous les siècles,
les plaines immenses de la Scythie ou Tartane ont été habitées par des tribus
errantes de pisteurs et de chasseurs, dont la paresse se refuse à cultiver la
terre, et dont l’esprit inquiet dédaigne la gêne d’une vie sédentaire. Dans
tous les siècles, les Scythes et les Tartares ont été renommés par leur courage
intrépide et par leurs rapides conquêtes. Les pasteurs du Nord ont à plusieurs
reprises renversé les trônes de l’Asie, et leurs armées victorieuses ont
répandu la terreur et la dévastation dans les contrées les plus fertiles et les
plus belliqueuses de l’Europe [3006] .
Dans cette occasion, comme dans beaucoup d’autres, l’historien judicieux se
trouve forcé de renoncer à une agréable chimère, et d’avouer avec quelque
répugnance, que les mœurs pastorales, ornées par l’imagination des attributs de
la paix et de l’innocence, se joignent beaucoup plus naturellement, aux
habitudes féroces d’une vie guerrière. A l’appui de cette observation, je
considérerai trois articles principaux dans la vie des nations pastorales et
guerrières : 1° leur nourriture ; 2° leurs habitations ; 3° leurs occupations.
L’expérience des temps modernes a confirmé les récits de l’antiquité [3007] ; et les bords
du Volga, du Selinga et du Borysthène, nous présenteront le spectacle uniforme
des mêmes mœurs et des mêmes habitudes [3008] .
I . Le blé ou même le riz, qui constitue la nourriture
principale et la plus saine des nations civilisées, ne s’obtient que par les
travaux constants des cultivateurs. Quelques uns des heureux sauvages qui
habitent entre les deux tropiques, reçoivent de la libéralité de la nature une
subsistance abondante ; mais dans les climats du Nord, une nation de pasteurs
est réduite à ses troupeaux. Je laisse à décider aux habiles praticiens de
l’art médical, si toutefois ils le peuvent, jusqu’à quel point une nourriture
animale ou végétale peut influer sur le caractère des hommes, et si l’idée de
cruauté attachée à l’épithète de carnivore, doit être regardée autrement que
comme ici préjugé innocent, et peut-être salutaire au genre humain [3009] . Cependant,
s’il est vrai que le sentiment de la compassion s’affaiblisse insensiblement
par le spectacle et par l’habitude de la cruauté domestique ; nous pouvons
observer que la tente d’un pasteur tartare expose aux regards ; dans leur plus
dégoûtante simplicité, les objets affreux que leur déguise la délicatesse de
l’Europe. Chez eux les bœufs et les moutons sont égorgés par la main dont ils
étaient accoutumés à recevoir tous les jours leur nourriture, et leur
insensible meurtrier voit leurs membres sanglais& étalés sur sa table sans
beaucoup de préparation. Dans la profession militaire, et principalement dans
la marche d’une armée nombreuse, il paraît très avantageux de faire subsister
les soldats de viande, exclusivement à toute autre nourriture. Les provisions
de grains tiennent beaucoup de place et sont sujettes à se gâter ; et les
immenses magasins absolument nécessaires à la subsistance de nos troupes, ne
peuvent se transporter que lentement et emploient beaucoup d’hommes et de
chevaux ; mais
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