Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
dispose à admirer, à imiter l’ardeur martiale de son collègue,
à qui il permit de réunir les deux titres incompatibles de comte des
domestiques et de roi des Francs. Priarius, roi des Allemands, se laissait
également guider ou plutôt emporter par une valeur impétueuse. Les deux armées,
animées de l’esprit de leurs chefs, se cherchèrent, s’aperçurent et se
chargèrent près la ville d’Argentaria ou Colmar [3086] , dans les
plaines de l’Alsace. La discipline des Romains, leurs savantes évolutions et
leurs traits redoutables, eurent tout l’honneur de la victoire. Les Allemands
conservèrent longtemps leur terrain, et y furent impitoyablement massacrés.
Environ cinq mille Barbares échappèrent à la mort en fuyant dans les bois et
dans les montagnes. Priarius, mort glorieusement sur le champ de bataille,
évita les reproches du peuple, toujours disposé à blâmer comme injuste et
impolitique une guerre malheureuse. Après, cette victoire, on assura la paix de
la Gaule et la gloire des armes romaines, l’empereur partit sans délai, en
apparence, pour son expédition en Orient ; mais quand il fut près des confins
du pays des Allemands, il se replia habilement sur la gauche, et les surprit en
passant inopinément le Rhin et en s’avançant hardiment dans leurs terres. Les
Barbares lui opposèrent tous les obstacles que purent leur fournir la nature et
leur courage : ils se retirèrent successivement de colline en colline, jusqu’à
ce que des épreuves répétées les eussent convaincus de la puissance et de la
persévérance de leurs ennemis. L’empereur accepta la soumission des Barbares,
non comme un gage de leur repentir, mais comme une preuve de leur détresse ; et
il choisit parmi leur jeunesse un nombre de vigoureux soldats qu’il emmena
comme les garants les plus certains qu’il pût avoir de la conduite future de
leurs infidèles compatriotes. Les Romains savaient trop bien par expérience que
les Allemands ne pouvaient être ni soumis par les armes ni contenus par les
traités pour attendre de cette expédition une tranquillité durable ; mais elle
fournit à leur jeune monarque l’occasion de déployer des vertus qui annonçaient
la gloire et la prospérité de son règne. Lorsque les légions gravirent les
montagnes et escaladèrent les fortifications des Barbares, la valeur du jeune
Gratien se distingua dans les premiers rangs, et plusieurs de ses gardes eurent
leur brillante armure percée et brisée à côté de leur souverain. A l’âge de
dix-neuf ans, le fils de Valentinien faisait admirer ses talents politiques et
militaires, et son armée regarda sa victoire sur les Allemands comme un présage
certain de ses triomphes sur les Goths [3087] .
Tandis que Gratien jouissait des justes applaudissements de
ses sujets, Valens, qui avait enfin quitté Antioche, suivi de sa cour et de son
armée fut reçu à Constantinople comme l’auteur des calamités publiques. A peine
s’était-il reposé dix jours dans cette capitale, que les clameurs séditieuses
de l’hippodrome le pressèrent de marcher contre les Barbares qu’il avait
appelés dans ses États. Les citoyens, toujours braves loin du danger,
déclaraient avec confiance que si on voulait leur donner des armes, ils
entreprendraient seuls de délivrer les provinces d’un insolent ennemi [3088] . L’arrogante
présomption d’une multitude ignorante hâta la chute de l’empire. Valens, qui ne
se sentait ni dans sa réputation ni en lui-même de quoi soutenir le mépris
public, fut poussé par le désespoir dans l’imprudence, et les succès de ses
lieutenants lui persuadèrent qu’il triompherait facilement des Goths, réunis
par les soins de Fritigern dans les environs d’Adrianople. Le vaillant Frigerid
avait coupé le chemin aux Taifales ; le roi de ces Barbares débauchés avait été
tué sur le champ de bataille, et le reste de ses troupes, ayant demandé la vie,
avait été envoyé en Italie pour y cultiver les terres abandonnées des
territoires de Parme et de Modène [3089] .
Les exploits de Sébastien [3090] ,
nouvellement admis au service de l’empereur, et élevé au rang de maître général
de l’infanterie, étaient encore plus honorables pour lui et plus utiles à
l’empire. Ayant obtenu la permission de choisir trois cents hommes dans chaque
légion, il fit bientôt reprendre à ce détachement séparé l’esprit de discipline
et l’exercice des armes, presque entièrement oubliés sous le
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