Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
règne de Valens.
Le brave et vigilant Sébastien surprit un corps nombreux de Goths dans leur
camp, et la quantité de dépouilles qu’il recouvra remplirent la ville
d’Adrianople et la plaine voisine. Le superbe récit que le général fit de ses
propres exploits, donna de l’inquiétude et de la jalousie à la cour impériale ;
et quand il voulut prudemment insister sur les difficultés que présentait la
guerre des Goths, on loua sa valeur, mais on rejeta ses avis ; et Valens,
aveuglé par les suggestions flatteuses des eunuques de son palais, s’empressa
de recueillir lui-même la gloire d’une conquête qu’on lui peignait comme sûre
et facile. Un corps nombreux de vétérans joignit son armée, et sa marche de
Constantinople à Adrianople fut conduite avec tant d’intelligence, qu’il
prévint l’activité des Barbares qui projetaient d’occuper les défilés
intermédiaires, et d’arrêter l’armée ou d’intercepter ses convois. Valens plaça
son camp sous les murs d’Adrianople, le fortifia, selon l’usage des Romains,
d’un fossé et d’un rempart, et assembla le conseil qui devait décider du destin
de l’empereur et de l’empire. Victor né chez les Sarmates, mais dont
l’expérience avait tempéré l’impétuosité, soutint le parti de la raison, et
conseilla de temporiser, tandis que Sébastien, en courtisan docile, se
conformait aux inclinations de la cour, et représentait toutes les précautions,
toutes les mesures qui pouvaient indiquer le doute de la victoire, comme
indignes du courage et de la majesté de leur invincible monarque. Les artifices
de Fritigern et les avis prudents de l’empereur d’Occident précipitèrent la
ruine de Valens. Le général des Barbares connaissait parfaitement l’avantage de
mêler les négociations aux opérations de la guerre : il envoya un
ecclésiastique chrétien, comme ministre de paix, pour pénétrer et diviser, s’il
était possible, le conseil de ses ennemis. L’ambassadeur fit une peinture vraie
et touchante des cruautés et des injures dont la nation des Goths avait à se
plaindre, et protesta, au nom de Fritigern, qu’il était encore disposé à
quitter les armes, et à ne s’en servir que pour la défense de l’empire, si on
voulait accorder à ses compatriotes un établissement paisible dans les contrées
incultes de la Thrace, et une quantité suffisante de grains et de bétail. Il
ajouta secrètement et comme en confidence, que les Barbares irrités
accepteraient peut-être difficilement ces conditions raisonnables et que
Fritigern ne se flattait pas de pouvoir conclure un traité si désirable, à moins
que le voisinage d’une armée impériale n’ajoutât le sentiment de la crainte à
l’influence de ses sollicitations. A peu près dans le même temps, le comte
Richomer arriva de l’Occident et annonça la défaite et la soumission des
Allemands. Il apprit à Valens que son neveu avançait à grandes journées à la
tête des vétérans et des légions victorieuses de la Gaule, et le pria, au nom
de Gratien et de la république, de suspendre toute entreprise hasardeuse
jusqu’au moment oie le succès serait assuré, par la jonction des deux armées et
des deux empereurs. Mais les illusions de la jalousie et de la vanité
aveuglaient le faible monarque de l’Orient. Dédaignant ce conseil important et
un secours qui lui paraissait humiliant, il comparait en lui-même son règne sans
gloire, ou peut-être honteux, à la réputation brillante d’un prince adolescent.
Agité par ces cruelles réflexions, Valens se précipita sur le champ de bataille
pour y ériger ses trophées imaginaires, avant que la diligence de son collègue
ne vint usurper une partie de la gloire qu’il se promettrait.
Le 9 du mois d’août, jour qui a dû être marqué au nombre des
plus funestes sur le calendrier des Romains [3091] , l’empereur
Valens, après avoir laisse sous une forte garde son bagage et son trésor
militaire, partit d’Adrianople pour attaquer les Goths campés à douze milles de
ses murs [3092] .
Par quelque méprise d’ordre, ou faute de connaître suffisamment le terrain,
l’aile droite, formée par la colonne de cavalerie, se trouva en vue de
l’ennemi, tandis que la gauche en était encore considérablement éloignée. Les
soldats, malgré la brûlante chaleur de l’été, furent obligés de précipiter leur
marche, et la ligne de bataille se forma avec lenteur, confusion, et d’une
manière
Weitere Kostenlose Bücher