Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
une manière sur laquelle nos textes nous laissent en complète incertitude, procèdent de cette action tous les êtres individuels liés en un seul monde, chacun avec sa qualité propre (ι̉δίως ποίον), avec une individualité irréductible, qui dure autant que lui ; ces individualités ne sont, semble-t-il, que des fragmentations du pneuma primitif, puisque la génération de nouveaux êtres par la terre ou l ’ eau dépend, soit de la portion de pneuma qu ’ elle a gardée dans la formation des choses, soit peut-être, dans le cas de l ’ homme, d ’ une étincelle venue du ciel qui forme son âme.
De l ’ action concertée de ces individus se forme le système du monde que nous voyons, limité par la sphère des fixes, avec les planètes circulant d ’ un mouvement volontaire et libre dans l ’ espace, l ’ air peuplé d ’ êtres vivants invisibles ou démons, la terre fixée au centre. Mais ce système géocentrique n ’ est semblable qu ’ en apparence à ceux que nous connaissons p.311 déjà. D ’ abord les raisons de l ’ unité du monde ne sont pas les mêmes :« Platon, dit Proclus, établit l ’ unité du monde sur l ’ unité de son modèle ; Aristote sur l ’ unité de la matière et la détermination des lieux naturels ; les stoïciens sur l ’ existence d ’ une force unifiante de la substance corporelle [433] . » Si le monde est un, c ’ est que le souffle ou âme qui le pénètre en retient les parties, parce qu ’ il possède une tension ( τόνος ) , analogue à celle que possède en petit tout être vivant et même tout être indépendant quelconque pour empêcher la dispersion de ses parties : c ’ est la tension, ce mouvement de va-et-vient du centre à la périphérie et de la périphérie au centre, qui fait que l ’ être existe. D ’ où l ’ inutilité de l ’ exemplaire platonicien et du lieu naturel d ’ Aristote ; c ’ est par la force qui est en lui-même, force qui est en même temps une pensée et une raison, que Dieu contient le monde. De là résulte que le monde peut exister au sein d ’ un vide infini, sans crainte de se dissiper, et que, en revanche, il n ’ a en lui-même aucun vide ; car il n ’ y a aucun lieu naturel que celui que la force se choisit. De plus « si le monde est contenu par une âme unique, il est nécessaire qu ’ il y ait sympathie entre les parties qui le composent ; chaque animal a en effet avec lui-même une telle sympathie que, d ’ après les dispositions de certaines de ses parties, l ’ on peut connaître clairement la disposition des autres... S ’ il en est ainsi, les mouvements peuvent transmettre leur action malgré les distances ; car il y a une vie unique, transportée des agents aux patients [434] ». Cette sympathie universelle d ’ un monde où « tout conspire » distingue radicalement le monde hiérarchisé d’Aristote de celui des stoïciens ; en lui, il y a comme un circulus universel ; la terre et tous ses habitats reçoivent les influences célestes qui ne se bornent pas aux effets généraux des saisons, mais s ’ étend jusqu ’ à la destinée individuelle de chacun, selon l ’ astrologie, dont la diffusion, à partir du II I e siècle, est immense p.312 et qui est complètement acceptée par les Stoïciens. De plus, par une transmutation inverse de celle qui a produit les éléments, les émanations sèches venant de la terre et les émanations humides issues des fleuves et des mers produisent les divers météores et servent de nourriture aux astres. L ’ astronomie des stoïciens reçoit enfin de là une marque particulière : complètement insoucieux d ’ astronomie mathématique, ils laissent tomber les sphères ou épicycles, imaginés pour n ’ avoir à admettre dans le ciel que des mouvements circulaires ou uniformes ; désormais chaque planète, faite d ’ un feu condensé, suit son cours, libre et indépendante, sous la direction de son âme propre, et il est, dans le ciel, des mouvements non uniformes ; leur mouvement circulaire et varié est la preuve même de leur animation [435] La position de la terre au centre, d ’ autre part, découle de raisons dynamiques, de ce que la terre est pressée de tout côté par l ’ air, comme un grain de millet placé dans une vessie, et qui reste immobile au centre quand on gonfle la vessie, ou bien de ce que la masse de la terre, pour petite qu ’ elle soit, équivaut à celle
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