Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
stoïcisant d ’ un traité attribué à Plutarque [442] : « Ni loi, ni raison, ni rien de divin ne sauraient être infinis. » Cette conception appuie de son autorité non seulement des sciences véritables comme l ’ astronomie ou ! a médecine, mais tous les modes de divination de l ’ avenir, astrologie, divination par les songes, etc., dont les stoïciens étaient férus, et sur lesquels Chrysippe et Diogène de p.315 Babylone écrivirent de compacts recueils d ’ observation dont Cicéron nous a conservé quelque chose dans son traité Sur la Divination.
En un mot le destin n ’ est pas du tout l ’ enchaînement des causes et des effets, mais beaucoup plutôt la cause unique qui est en même temps la liaison des causes, en ce sens qu ’ il comprend en son unité toutes les raisons séminales dont se développe chaque être particulier. Ce monde lié, fait de logoi ou raisons, constitue une sorte d ’ univers des forces ou, si l ’ on veut, de pensées divines actives qui tient la place du monde platonicien des idées. Les principaux de ces logoi, ceux qui président aux phénomènes de la terre ou de la mer, sont les divinités populaires connues par les mythes, Hestia ou Poseidon, et les Stoïciens se font fort, par une interprétation dont un Stoïcien de l ’ époque d ’ Auguste, Cornutus, a conservé la doctrine [443] , d ’ expliquer le moindre détail des mythes populaires comme une allégorie des faits physiques.
Ce fatalisme rencontrait pourtant, à l ’ intérieur même du système, une difficulté, puisqu ’ il paraissait nier la croyance à la liberté humaine. Cicéron nous a conservé quelque peu de l ’ argumentation pénible par laquelle Chrysippe s ’ efforçait de les accorder [444] . Comment l ’ acte libre peut-il être en même temps déterminé par le destin, telle est la vraie position de la question, puisqu ’ il ne s ’ agit en aucun cas de rien soustraire au destin ; Chrysippe s ’ en tire en distinguant plusieurs genres de causes : de même que le mouvement de rotation d ’ un cylindre s ’ explique non seulement par une impulsion extérieure, qu ’ on appelle cause antécédente, mais par la forme du cylindre qui est la cause parfaite ou principale, de même un acte libre, comme l ’ assentiment, s ’ explique non par la représentation compréhensive qui est cause antécédente, mais par l ’ initiative de l ’ esprit qui la reçoit. Tout semble donc se passer dans cette p.316 solution, comme si la puissance du destin ne s ’ étendait qu ’ aux circonstances extérieures ou aux causes occasionnelles de nos actes.
VII. — LA THÉOLOGIE STOÏCIENNE
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Le rythme alterné du monde est nécessaire pour apprécier la portée de la théologie stoïcienne. On prononce à son égard le nom d ’ immanence et même de panthéisme, et les écrivains chrétiens ne se sont pas fait faute de railler ce Dieu présent dans les parties les plus infimes de l ’ univers ; et il est vrai aussi que le monde est fait de la substance de Dieu et s ’ y résorbe. Mais il ne faut pas abuser d ’ une idée juste ; la vérité est qu ’ il y a dans le stoïcisme les germes d ’ une notion de la transcendance divine, mais aussi que cette transcendance est de nature toute différente de celle du Dieu de Platon ou d ’ Aristote. Remarquons en effet que la transcendance de Dieu ne va pas, chez Aristote ou les platoniciens, sans l ’ affirmation de l ’ éternité du monde ; les platoniciens nous répéteront à satiété que Dieu ne peut se concevoir s ’ il ne produit le monde de toute éternité ; l ’ existence actuelle du monde est une des faces ou des conditions de la perfection divine. Il en est tout autrement chez les stoïciens : grâce à la conflagration, leur Zeus ou dieu suprême a une vie en une certaine mesure indépendante du monde ; alors, la nature cessant d ’ exister, il repose en lui, livré à ses seules pensées [445] . » D ’ autre part, si Dieu est imaginé comme une force intérieure aux choses, comme « un feu artiste, procédant méthodiquement à la production des choses » , ou comme « un miel coulant à travers les rayons » , le stoïcien s ’ adresse à lui d ’ autre part comme à un être providentiel, père des hommes et qui régie tout dans le monde au profit de l ’ être raisonnable, à « l ’ être tout-puissant, chef de la nature, qui gouverne toutes choses avec la loi, à
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